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Les enjeux technologiques du SCAF

Quelles voies possibles ?

Le challenge des décennies à venir est de parvenir à relever ces différents défis technologiques (3) tout en maîtrisant la courbe des coûts, notamment par le renforcement de la simulation. Cela nous conduit aussi à rechercher des approches innovantes, en rendant autant que possible agnostiques les technologies des plateformes sur lesquelles elles peuvent être utilisées, pour une plus grande communalité et une meilleure capacité d’adaptation, en facilitant ainsi la fusion de capteurs multiplateformes. Cette approche favorise également l’interopérabilité des systèmes.

Dans Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle(4), Joseph Henrotin décrit trois mutations ayant touché le domaine naval au cours de dernières décennies :

la modularité ;

la marsupialisation, qui « implique de considérer le bâtiment comme une plateforme disposant d’une capacité d’action et/ou d’observation qu’il peut déporter » ;

la réticulation : « le concept de guerre réseau-centrée […] permet de passer d’une approche fondée sur les plateformes à une optique fondée sur leur réticulation et la puissance qu’elles étaient, ensemble et par leur combinaison, en mesure de générer ».

Dans le domaine aérien, la modularité peut se voir dans la multiplication et la diversification des emports (armements, bidons, pods de ravitaillement, pods de reconnaissance, pods de guerre électronique…) ; la marsupialisation, dans l’émergence des remote carriers – qui pourraient augmenter la survivabilité du système en pré-alertant des menaces – ; et la réticulation dans la diversification des plateformes au sein de l’architecture du SCAF et leur interconnexion par la montée en puissance du cloud de combat.

Afin d’illustrer la réticulation, prenons l’exemple d’une scène de théâtre : interviewez chacun des spectateurs en fin de pièce, vous pourrez au mieux retracer les dialogues de la pièce. Imaginons maintenant qu’une conscience supérieure puisse avoir accès en temps réel aux cerveaux de seulement 10 % des spectateurs équitablement répartis dans la salle : cela lui permettrait d’avoir accès en plus à des informations telles que la vitesse du son, l’acoustique globale de la salle, la localisation précise par multiples triangulations de la planche du parquet qui grince… C’est le cloud de combat qui apportera cette réticulation et permettra l’optimisation de la participation de chaque intervenant allié. Ces différentes évolutions technologiques démultiplieront les effets des principes mis en œuvre dans les opérations aériennes :

principe de fulgurance, qui bénéficiera de vitesses d’armements jusqu’à l’hypersonique, de la mise en réseau, de la précision des armes ;

principe d’ubiquité, qui bénéficiera du déport de certaines fonctions, notamment de détection de cibles, sur des drones ou des avions de mission, véritables multiplicateurs de forces ;

principe d’allonge, qui bénéficiera de la mise en réseau de nos plateformes et des performances intrinsèques des aéronefs habités, drones et armements.

Relever le challenge

À n’en pas douter, ces enjeux technologiques amèneront de nombreuses évolutions organisationnelles et matérielles. Du côté de l’industrie, il s’agit de la mise en place d’une organisation spécifique qui est à prévoir, étant donné la taille du projet, les partenariats internationaux envisagés, et les champs nouveaux des technologies à défricher. Du côté des forces, l’apport de ces technologies amènera à s’interroger sur les capacités apportées par les nouveaux matériels et leurs doctrines d’emploi. La formation, le maintien des compétences et le maintien en conditions opérationnelles sont ainsi appelés à évoluer. Pour la Direction générale de l’armement (DGA), les enjeux techniques principaux sont : l’adaptation des centres d’essais aux caractéristiques des nouveaux équipements et des partenariats renouvelés et renforcés avec les référents étatiques dans de nombreux domaines (furtivité, aérodynamique, IA…).

Pour chacune de ces entités, la diversité des sujets à traiter, constituant de vrais challenges à relever, ne peut être qu’une puissante source de motivation pour les futurs ingénieurs, techniciens, mécaniciens et personnels navigants qui seront amenés à participer à cette formidable aventure… 

Notes

(1) Système construit par étapes (via des tranches contractuelles distinctes), permettant de diminuer la complexité et de livrer plus régulièrement de nouvelles capacités.

(2) Le « next generation weapon system » est le système de systèmes inclus dans le SCAF, qui est l’objet de la coopération entre la France, l’Allemagne et l’Espagne, composé de NGF et de remote carriers, mis en réseau via le cloud de combat.

(3) Sans rechercher l’exhaustivité : commandes de vol, interfaces homme-­système, architecture logicielle, gestion de l’énergie à bord, hybridation, tenue en température, amélioration des rendements propulsifs, furtivité, capacité de suivi du terrain, guerre électronique, leurres, attaque cyber, (hyper)vélocité, manœuvrabilité, lasers, résilience des systèmes, blindage, système d’éjection et de survie de pilote, zéroïsation, gestion de patrouilles hétérogènes, système de préparation de mission, IA, capteurs optroniques, capteurs radiofréquences, navigation en environnement brouillé, miniaturisation, pyrotechnie, communications à haut débit, à faible probabilité d’interception, simulation, fusion de capteurs multiplateformes…

(4) Éditions Economica, Paris, 2011.

Légende de la photo en première page : Le SCAF ne se limite pas au NGF, sa composante pilotée. (© Dassault Aviation/L. Charleau)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°90, « Aviation de combat : l’épreuve du feu », Juin-Juillet 2023.
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