Alors qu’en février 2023, le président français Emmanuel Macron appelait à « approfondir le partenariat entre la France, l’Europe et le continent africain », quels sont les principaux enjeux de la relation entre la France et l’Afrique aujourd’hui ?
N. Normand : Ces enjeux sont principalement la paix, la sécurité et le développement économique dans les pays africains. Ceci concerne au premier chef les pays africains eux-mêmes, mais par ricochet la France, qui abrite une large diaspora africaine. De même, l’Europe occidentale est concernée en raison de sa proximité géographique. Concrètement, il s’agit d’éviter, pour la France, plusieurs risques : des catastrophes humanitaires ou écologiques en Afrique qui nous impliqueraient d’une manière ou d’une autre, une immigration amplifiée et incontrôlée en cas d’aggravation de la situation de crise, et éventuellement des menaces terroristes, puisque le Sahel est désormais devenu, devant le Moyen-Orient, le principal foyer mondial du djihadisme armé, sous les bannières de Al-Qaïda ou Daech (État islamique).
L’enjeu commercial reste assez faible, puisque l’ensemble du continent africain représente moins de 5 % des exportations françaises (4,8 % en 2022), et 4,1 % des importations (source : rapport de février 2023 du ministère de l’Économie et des Finances). Ces chiffres sont à diviser environ par deux pour le commerce avec l’Afrique subsaharienne, donc 2 % du commerce extérieur de la France en 2022 avec 26,7 Md€ d’importations (sur 38,9 pour le continent) et 10,8 Md€ d’exportations (sur 28,1 pour le continent). Les exportations françaises vers l’Afrique (10,8 milliards d’euros en 2022) sont inférieures à ses importations d’Afrique (15,9 milliards en 2022), constituées principalement de pétrole (11 % des importations françaises de pétrole) et 9,5 % des importations françaises de produits de l’agriculture, de la forêt et de la pêche. (1)
En 20 ans, la France a perdu près de la moitié des ses parts de marché en Afrique, passant de 12 % à 7 % (contre 28 % à la Chine, 6,5 % à l’Allemagne ou aux États-Unis) (2), mais les exportations françaises ont néanmoins doublé dans un marché qui a quadruplé. Les plus gros clients africains de la France sont dans le Nord du continent et en Afrique du Sud. Pour ce qui est des importations françaises, les pays d’Afrique du Nord restent en tête, suivis du Nigéria et de l’Afrique du Sud.
La France est cependant le second investisseur du continent, en stock d’investissements, derrière le Royaume-Uni. Mais, en termes de flux, les investissements français en Afrique continuent de baisser depuis 2015 et ne représentent que 2,5 % des investissements directs étrangers de la France (3).
Enfin, le statut international de la langue française dépend aussi du développement humain des pays francophones, en expansion démographique, dont le principal, en nombre d’habitants, est la République démocratique du Congo (RDC) qui atteint déjà 100 millions d’habitants et environ 200 millions en 2050. Cependant, l’effort français pour appuyer notre langue est des plus limités, en dehors du réseau des lycées français pour une élite urbaine : 3 % seulement du budget de l’Agence française de développement sont consacrés à l’éducation.
Face à la multiplication des manifestations d’hostilité, à un rejet assumé et à une concurrence étrangère de plus en plus forte, que reste -t-il de l’influence française en Afrique ? La France y perd-elle ses leviers d’influence ? Assiste-t-on à la fin d’une époque ?
On assiste à la fin d’une époque, celle où la France considérait, à la suite d’une orientation voulue par le général de Gaulle, que les pays africains francophones (qu’on appelait « le Champ » ou le « pré carré ») devaient avoir une relation spéciale, quasiment un tête-à-tête, avec « la métropole ». Faut-il le regretter ? Avoir de tels « leviers d’influence en Afrique » n’est-il pas la caractéristique d’une politique d’inspiration néocoloniale ou paternaliste qui a fait son temps et qui exaspère désormais une jeunesse africaine qui a encore le sentiment, à tort ou à raison, de demeurer sous la tutelle de l’ancien colonisateur ?