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De la nécessité de développer une stratégie d’intelligence économique française

L’intelligence économique est un art opératif dans la guerre économique systémique. Alors que la France est en proie à une perte de souveraineté profonde et transversale depuis les années 1980, il est désormais urgent pour le pays de définir une stratégie d’intelligence économique pour faire face à un environnement de plus en plus concurrentiel.

Se renseigner, sécuriser, influencer. Voilà ce qui pourrait définir simplement l’intelligence économique, une dynamique collective qui vise l’agilité par un usage stratégique de l’information. Concrètement, ces usages se regroupent sous les vocables de veille, de sécurité économique et d’influence. Surveiller les mouvements stratégiques de ses concurrents, repérer les disruptions technologiques, cartographier les réseaux d’experts et de décideurs, protéger ses données et prévenir les cyberattaques, influencer les décisions et les normes pour prendre un avantage concurrentiel : voilà ce que recouvre entre autres la notion intégratrice d’intelligence économique. Avec une idée clé : c’est en articulant le renseignement ouvert, la protection du patrimoine immatériel et l’influence que l’on peut être plus agile et performant que ses compétiteurs. Et avec une difficulté majeure : mettre en musique toutes ces actions au sein d’une organisation ou d’un réseau, le plus souvent dans une véritable synergie public-privé.

« Intelligence » doit ici être compris dans son sens originel, à savoir « discerner entre » (du latin inter- et legere) en recueillant et en assemblant (du grec lego) des données pour produire du renseignement. Un sens originel conservé par les Anglo-Saxons qui parlent depuis longtemps d’intelligence service et, dans le domaine économique, de business ou de competitive intelligence. Née officiellement en France en 1994 d’un rapport du Commissariat général au Plan (1), l’intelligence économique aura mis une génération pour se développer au sein des entreprises et voir timidement les services de l’État ou les collectivités initier un ersatz de politique publique d’intelligence économique territoriale… Sans oublier des acteurs longtemps considérés comme périphériques tels que les ONG, les associations ou les simples citoyens qui, dans un monde hyperconnecté, voient leurs capacités d’action démultipliées. Bien entendu, les actions qui composent l’intelligence économique ne sont pas nouvelles et la guerre économique est une vieille histoire (2). Alors, pourquoi aura-t-il fallu une génération pour intégrer l’importance de ce qui apparaît désormais comme une évidence ?

L’intelligence économique en France : un défi face à un déni

Au début des années 1990, les accords du GATT (qui donneront naissance à l’OMC), entérinent une nouvelle phase de la mondialisation dans une période post guerre froide où les États-Unis deviennent l’unique hyperpuissance, certes chatouillée par le Japon dans l’industrie, mais pour l’heure sans véritable ennemi. La Chine, qui n’est encore qu’un potentiel, masque sa stratégie de puissance (3) et l’Union européenne se développe comme marché, certes, mais certainement pas comme puissance. Alors, dans ce qui reste de la volonté de puissance de la politique du Général de Gaulle — le commissariat général du Plan — se réunit pendant une année un groupe de travail hétéroclite composé de responsables d’entreprises, de syndicalistes, de fonctionnaires, d’anciens du renseignement et d’experts pour réfléchir à une politique nationale d’intelligence économique qui permette à la France de conserver une certaine souveraineté économique dans une mondialisation sans pitié pour les faibles. La dynamique est lancée, qui connaîtra ses succès et ses échecs, et une relance en 2003 grâce au rapport parlementaire du député Bernard Carayon et à la nomination d’Alain Juillet comme haut-responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier ministre.

À propos de l'auteur

Nicolas Moinet

Praticien-chercheur en intelligence économique, professeur des universités à l’Institut d’administration des entreprises de Poitiers, cofondateur de l’École de pensée sur la guerre économique (EPGE) et chercheur associé au Centre de recherche 451 de l’École de guerre économique.

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