Voir sans être vu, c’est l’un des facteurs différenciants entre belligérants sur le champ de bataille. Principal contributeur à cet objectif, le camouflage évolue au gré des technologies et se rapproche de plus en plus de l’idéal romancé de la « cape d’invisibilité », exemple à la clef dans les rangs des armées et de la filière de défense françaises.
L’idée avait fait grand bruit en janvier dernier au salon Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas (Nevada), grand-messe annuelle de l’innovation technologique : le constructeur allemand BMW révélait la première voiture capable de changer instantanément de couleur grâce à une solution baptisée E Ink. Derrière cette démonstration de savoir-faire, les forces armées planchent depuis plusieurs décennies sur un « camouflage parfait » qui s’adaptera automatiquement à tout environnement et à tout climat : un camouflage en mesure de faire disparaître le combattant ou le véhicule du champ de bataille.
La recherche du camouflage parfait
Dès l’an 2000, le Jet Propulsion Laboratory de la NASA présentait le concept « The Scene From Behind an Object ». Le principe, entièrement théorique, misait déjà sur un ensemble de capteurs électro-optiques et de panneaux d’affichage légers pour fondre un objet dans son environnement direct. Depuis, l’évolution rapide des capteurs, tant en finesse de détection qu’en diffusion dans les forces armées, n’aura fait que renforcer l’intérêt et motiver la multiplication des démarches.
Une décennie après la NASA, le géant industriel anglo-saxon BAE Systems dévoilait Adaptiv, un ensemble de pixels hexagonaux métalliques chauffés ou refroidis pour casser la forme et tromper l’imagerie thermique. Développé en trois ans au nom des autorités militaires suédoises, Adaptiv était aussi pensé pour de petites structures et plateformes aériennes et navales, mais n’a jamais atteint le stade de la production en série. Au même moment, la Défense néerlandaise, en coopération avec l’Allemagne et le Canada, poussait le concept un cran plus loin en présentant « CAMELEON », prototype inspiré du concept de la NASA et étendu non seulement à la voie visible, mais aussi à d’autres formes d’ondes.
En France, au sein de la Direction générale de l’armement (DGA), chercheurs et industriels explorent plusieurs voies depuis plus d’une décennie, surtout au bénéfice des acteurs terrestres et aéroterrestres qui sont davantage soumis à l’évolution de leurs environnements de mission. Trois initiatives sont en cours dans le domaine, dont deux en déploiement ou en passe de l’être et une troisième d’ordre plus prospectif. Les deux premières, les « bariolage multi-environnements » (BME) et « camouflage tactique » (CAMTAC), relèvent respectivement du treillis F3 du combattant et des véhicules.
Aucun n’est à proprement parler un camouflage adaptatif, mais tous deux partagent un fond « brun terre de France » unique et un tachisme évolué pour mieux anticiper l’évolution des moyens de détection. De même, tant le BME que le CAMTAC visent à réduire le nombre de variantes en s’adaptant dès l’origine à un maximum de milieux. Construit autour de six couleurs et d’un enchevêtrement de formes géométriques ou naturelles, le BME succédera aux bariolages « centre Europe » et « désert ». Le CAMTAC est quant à lui constitué de stickers réversibles en forme de triangles isocèles, et en très grande majorité identiques, avec une réduction du temps de bascule d’un bariolage à l’autre et donc de l’empreinte logistique. Aux versions « centre Europe » et « zone enneigée » déjà développées devrait venir se joindre une troisième version : « zone désertique ».
Désormais décliné sur Griffon, Serval et Jaguar – celui-ci emportant un triangle spécifique pour compenser une architecture plus complexe –, le CAMTAC devrait, cette année, faire l’objet d’une démonstration interarmées qui déterminera l’éventuelle bascule vers l’industrialisation et le passage à grande échelle. Quant au BME, les premières commandes de tissu ont été notifiées aux trois industriels concernés, les français TDV Industries et Europrotect, ainsi que le belge Utexbel. Les livraisons interviendront au mieux pour fin 2023, permettant d’entamer les premières distributions aux forces courant 2024.
Caméléon —Salamandre, embryon de camouflage adaptatif
S’ils annoncent des avancées majeures dans le domaine visible, ces deux camouflages atteignent leurs limites lorsqu’il s’agit de réduire les empreintes thermiques et électromagnétiques. Il est bien entendu possible d’ajouter à ces camouflages natifs des solutions amovibles, comme les filets de camouflage multispectraux Barracuda, conçus par Saab et fabriqués pour les armées françaises par l’entreprise berrichonne Solarmtex. Mais si ces solutions élargissent le spectre du camouflage, le temps d’installation nécessaire et la texture réaliste du système semblent plus adaptés à la protection d’éléments fixes que de véhicules se déplaçant d’un environnement à l’autre. Pour un système français capable de s’adapter en temps réel à son environnement et tenant compte d’autres formes d’ondes, il faut se tourner vers un projet dont le point de départ et le nom, coïncidence ou non, sont similaires à ceux du projet conduit presque au même moment aux Pays‑Bas.