Saisies records de drogues dans le port d’Anvers, assassinats, règlements de compte, corruption, menaces sur des ministres…, l’essor du trafic de stupéfiants, principalement de la cocaïne en provenance d’Amérique latine, pose de plus en plus de problèmes en Belgique. Le pays est devenu une plaque tournante des organisations criminelles dans leur accès aux marchés européen et mondial, faisant craindre l’apparition d’un « narco-État » au cœur de l’Europe.
Les douanes belges et néerlandaises l’ont annoncé conjointement : en 2022, pour la première fois, les saisies de cocaïne dans le port d’Anvers ont dépassé la barre symbolique des 100 tonnes (contre 89,5 en 2021), ce qui ne représenterait qu’environ 10 % de la quantité totale y transitant. Le volume est impressionnant comparé aux 214,6 tonnes réquisitionnées en 2020 dans toute l’Union européenne (UE), et il ne cesse de progresser (moins de 75 tonnes entre 2010 et 2015) (1). Ces chiffres confirment l’expansion du marché de la cocaïne en Europe, où elle est la deuxième drogue la plus populaire après le cannabis avec environ 5,2 millions de consommateurs en 2020, ainsi que le renforcement de la place de la Belgique comme hub au cœur du narcotrafic.
Anvers, hub globalisé
Le port d’Anvers fait office de porte d’entrée. La drogue, qui voyage essentiellement par voie maritime, y est acheminée depuis l’Amérique latine, où se situent les principaux producteurs (Colombie, Pérou, Bolivie), sous différentes formes (pâte de coca, cocaïne-base et liquide) et selon des techniques de plus en plus sophistiquées déployées par les trafiquants : le produit voyage avec les marchandises, dissimulé dans des doubles fonds ou dans des torpilles, transbordé en mer, caché dans les conteneurs transportant bois, bananes, fèves de cacao, vêtements ou engrais, pour être ensuite transformé en Europe (Espagne, Pays-Bas, Belgique) et redistribué. Le marché est en plein « boom », avec une hausse continue du nombre de consommateurs dans le monde : 21,5 millions de personnes ont pris au moins une dose de cocaïne en 2020, contre environ 15 millions dix ans auparavant, selon l’ONU. D’autant que cette drogue est « abordable » : en 2019, le prix moyen d’un sachet d’un gramme acheté dans la rue oscillait entre 54 et 83 euros (2).
Anvers est un lieu tout désigné pour sa fonction de plate-forme : il est le deuxième port européen après Rotterdam, bien connecté au continent avec l’énorme quantité de marchandises qui y transitent (240 millions de tonnes de marchandises en 2022), rendant difficiles les contrôles. Seuls 2 % des 12 millions d’EVP manutentionnés ont été effectivement inspectés par les douanes belges. Le port est également une plate-forme essentielle d’exportation des drogues de synthèse comme l’ecstasy ou les métamphétamines produites dans des laboratoires clandestins en Belgique ou aux Pays-Bas.
La place d’Anvers au cœur de ces trafics repose aussi sur des appuis et des complicités au sein du personnel du port (administratif, policiers, douaniers, dockers, entreprises d’import-export), avec le déploiement de moyens de pression et de corruption colossaux de la part de groupes criminels bien implantés en Belgique et aux Pays-Bas, telle la Mocro Maffia, réseau originaire du Maroc, autre plaque tournante du trafic de drogues vers l’Europe. Cette situation entraîne une explosion de la criminalité : blanchiment d’argent, enlèvements, assassinats… Les autorités de Belgique redoutent que le pays devienne un « narco-État ». Depuis septembre 2022, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, et sa famille sont placés sous haute surveillance après la révélation d’un projet de kidnapping déjoué par les forces de l’ordre. L’intéressé a alors dénoncé la « narcoterreur » qui se déploie dans le pays.
Une lutte transnationale
Le gouvernement a décidé de lancer une véritable offensive contre le narcotrafic, en mettant en œuvre un vaste plan d’urgence sous l’égide du Conseil national de sécurité et d’Ine Van Wymersch, magistrate nommée commissaire nationale aux drogues en février 2023. Des moyens importants sont annoncés, avec le doublement des effectifs de la police portuaire et un renforcement des douanes, avec l’ambition de pouvoir inspecter grâce à un système d’automatisation des contrôles la totalité des 400 000 conteneurs annuellement estimés « à risque », car arrivant d’Amérique latine. L’infiltration par la police belge de la messagerie cryptée Sky ECC, très utilisée par les narcotrafiquants, a permis d’accroître les saisies. Du 11 juin au 13 juillet 2022, les douanes belges ont mené l’opération en mer « White Sea II », en collaboration avec la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni, ainsi qu’avec Frontex, Europol et le Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N).
La lutte contre ces trafics passe aussi par l’approfondissement de la coopération transnationale : signature d’un accord avec les Émirats arabes unis en décembre 2021 et avec l’Équateur en février 2023 ; renforcement du processus « Hazeldonk », qui associe policiers et douaniers belges, néerlandais, luxembourgeois et français. Car la France est concernée, comme le rappellent la prise de 1,9 tonne de cocaïne au port du Havre et l’échouage d’une quantité équivalente sur les plages de la Manche en février 2023, alors que les autorités en ont saisi 27,7 tonnes en 2022 (3). C. Loïzzo
Notes
(1) EMCDDA/Europol, EU Drug Market : Cocaine, 2022.
(2) L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) publie des données en ligne sur :
www.emcdda.europa.eu/index_en
(3) OFAST, Bilan 2022 : Lutte contre les drogues, mars 2023.