En mars 2023, l’Émirat islamique d’Afghanistan a renforcé l’emprise sur les femmes en leur interdisant de travailler pour l’ONU, alors que l’université et de nombreux lieux publics (parcs, salles de sport…) leur étaient déjà fermés. Au pouvoir depuis août 2021, les talibans semblent figés dans un déni de la réalité, portant un discours « rassurant », alors que la situation humanitaire s’aggrave.
nstallé à Kandahar, d’où il dirige par décret et sans s’être jamais rendu à Kaboul depuis août 2021, le leader suprême Haibatullah Akhundzada incarne un régime sourd aux demandes de la communauté internationale. C’est sur le dossier des jeunes filles, privées d’enseignement secondaire et supérieur, et sur celui des femmes, dont les libertés sont niées, que se crispe l’idéologie des talibans. Ils confirment les droits « dans le cadre de la charia » et annoncent que les programmes scolaires, après révisions, permettront leur retour au collège. Mais rien ne se passe. Et, en mars 2023, si l’émirat s’était dit satisfait du renouvellement du mandat de la Mission d’aide des Nations unies en Afghanistan (UNAMA), il étendait aux équipes de l’ONU l’interdiction d’employer des femmes, qui frappait déjà toutes les ONG.
Au nom de l’idéologie
Sur le terrorisme, prétendre qu’une menace existe relève de la propagande, affirme Kaboul, alors que des attentats ont été commis par l’organisation de l’État islamique - Province du Khorasan (EI-K), dont le nombre de combattants est estimé à 6 500. De plus, Islamabad réclame que l’Afghanistan cesse d’accueillir des membres du Tehreek-é Taliban Pakistan (TTP). L’émirat craint qu’une répression ne les pousse vers l’EI-K.
Sur le plan politique, le régime argue que la question d’un « gouvernement inclusif » ne se pose pas puisqu’il y a des non-Pachtounes au pouvoir, alors qu’il s’agissait d’inclure des forces politiques non talibanes. Quelques dirigeants semblent favorables à plus de pragmatisme, voire à dialoguer avec l’étranger en faisant des compromis pour rester au pouvoir et donc faire reconnaître le régime. On pense aux ministres de l’Intérieur et de la Défense, respectivement Sirajuddin Haqqani et Mohammad Yakoub, fils du mollah Omar, chef suprême durant le premier émirat taliban (1996-2001). Mais l’autorité de Haibatullah Akhundzada reste intacte, et rien n’advient, le mouvement se présentant comme uni. L’« émir » s’est entouré de fidèles à des postes clés, à l’instar du Premier ministre, Mohammad Hassan Akhund, et du chef de la Cour suprême, Abdelhakim Haqqani, tout en privilégiant des religieux pachtounes pour les fonctions importantes.
Les requêtes sur l’ouverture de l’école aux filles sont fréquentes, les protestations publiques rares, les citoyens se plaignent des difficultés de la vie courante, tandis que l’opposition structurée par le Front national de résistance (FNR), dirigé en exil par Ahmad Massoud, se fait l’écho d’opérations contre les talibans dans une douzaine de provinces. On ne voit pas de changement dans le contrôle du pays, le régime se vantant d’avoir rétabli la stabilité après des décennies de combats, même s’il affronte d’importantes difficultés financières avec 9 milliards de dollars de sa banque centrale bloqués à l’étranger.
Sans argent, sans reconnaissance
Les financements qui portaient la république déchue ont cessé sans que les talibans puissent relancer l’économie ; ainsi, tandis que les recettes budgétaires de la première étaient estimées à 4,2 milliards d’euros en 2019, celles des seconds sont tombées à 1,9 milliard en 2022, provenant principalement des taxes douanières, seule véritable ressource souveraine. Le pays est exsangue.
La crise humanitaire s’aggrave. Selon l’ONU, le risque de famine est au plus haut pour 6 millions d’Afghans, sur les 20 millions souffrant de la faim, tandis que 4 millions d’enfants et de femmes enceintes ou de jeunes mamans sont atteints de malnutrition sévère. En 2022, les agences humanitaires ont soutenu près de 25 millions de personnes, soit les deux tiers de la population.
Au 15 juin 2023, aucun État n’a officiellement reconnu l’Émirat islamique d’Afghanistan. Alors que la plupart des pays gèrent leur politique afghane avec leur ambassade au Pakistan ou au Qatar, une quinzaine de représentations diplomatiques sont ouvertes à Kaboul : voisins, monarchies du Golfe, Russie, Chine, Turquie, mais aussi Inde et Japon. Au-delà de l’aide humanitaire, sont en jeu les questions sécuritaires et géopolitiques, et les projets économiques et de connectivité : ressources minières, plans ferroviaires, liaisons énergétiques depuis l’Asie centrale.
Les formats de dialogue sur l’Afghanistan sont multiples, avec les talibans (Moscou en février 2023, Islamabad en mars), ou sans eux, comme entre les États voisins et la Russie (Samarcande en avril) ou l’initiative de l’ONU au Qatar en mai 2023. Les préalables à la reconnaissance sont affichés, mais l’engagement avec les talibans reste impératif pour les États proches. Le régime plaide pour la reconnaissance, mais entend respecter ses principes.