Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Quelle autonomie de défense française à l’heure du conflit de haute intensité ?

La France peut-elle aujourd’hui faire face à un conflit de haute intensité ?

J. Henrotin : Tout est toujours relatif, parce que tout dépend du conflit dont on parle, mais aussi de sa configuration. S’agit-il d’affronter la Chine, la Russie ou l’Iran ? Et de le faire seul ou en coalition, en sachant qu’il n’y a aucune menace aux frontières ? La France a développé un modèle d’armée dit « complet », depuis des capacités élémentaires jusqu’à la dissuasion nucléaire — donc elle peut effectivement s’engager sur tout le spectre du combat. Cependant, une constante depuis le début des années 1990 est de considérer qu’une guerre interétatique dans laquelle elle interviendrait, de haute intensité ou non, serait plus que probablement menée en coalition. 

Concrètement, une guerre de haute intensité impliquerait tout ou partie de l’hypothèse d’engagement majeur, qui permet de conduire des opérations de haute intensité tout en assurant en même temps les différentes postures permanentes assurant la sécurité du pays. Pour l’instant, cette hypothèse implique deux brigades interarmées (y compris 140 chars Leclerc, 48 obusiers et 64 hélicoptères de combat) ; 45 appareils de combat et 37 d’appui et de soutien (12 drones MALE, 25 appareils de transport et de ravitaillement en vol) ; et le groupe aéronaval, incluant le porte-avions, huit frégates, deux porte-hélicoptères amphibies et deux sous-marins nucléaires d’attaque). L’ensemble doit être engagé durant six mois et ne sera pas relevé. 

C’est à la fois peu au regard du volume total des forces mais également beaucoup, au regard de l’équivalent britannique notamment. Il reste cependant à voir si ce contrat opérationnel particulier peut effectivement être tenu : avoir les avions ou les chars en parc ne suffit pas, il faut qu’ils soient disponibles, c’est-à-dire opérationnels, ce qui ne va pas de soi dès lors que l’une des victimes des livres blancs de 2008 et 2013 a été le maintien en condition opérationnelle. De même, aligner 48 obusiers n’a aucun sens s’ils ne sont pas dotés d’obus en suffisance. Or là aussi, les commandes de munitions ont été victimes des coupes budgétaires des quinze dernières années. 

Quels sont donc alors les principaux besoins de l’armée française ?

Qui dit modèle d’armée complet dit besoins nombreux, mais aussi en croissance. Certes, il faut remplacer des systèmes obsolescents, mais aussi s’adapter à de nouveaux systèmes : la logique capacitaire est « additive ». Dans le même temps, il faut s’assurer de disposer des effectifs adéquats, ce qui ne va jamais de soi. En effet, les forces ont misé sur la supériorité technologique pour réduire leur perte de masse, mais cela exige en retour des formations plus exigeantes et des besoins en techniciens plus spécialisés. Cela exige également de revoir les niveaux d’entraînement à la hausse, des plus petites unités jusqu’à l’échelon de la brigade. C’est donc une mécanique très complexe, évolutive et qui pourrait être de plus en plus réactive. La vie de certains programmes, de la conception au démantèlement, peut dépasser les 50 ans. Par contre, on pourrait avoir à concevoir et produire des masses de drones dont la durée de vie pourrait ne pas excéder quelques mois, parce qu’ils ne tiendraient pas face à la guerre électronique ennemie. 

La récente Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 répond-elle à ces besoins ? Quels sont les qualités et défauts de cette LPM ?

La nouvelle LPM est un effort majeur, de 413 milliards d’euros, qui impliquait de poursuivre plusieurs « groupes » de programmes — le cyber, le nucléaire dont les composantes doivent être renouvelées, le renseignement — mais aussi de faire un choix, majeur, de stratégie des moyens. Il s’est joué entre l’épaississement (plus d’unités, de matériels, etc.) et la densification (faire en sorte que tout ce qui est là soit effectivement apte au combat, ce qui implique plus de maintenance et plus de munitions). Dans un monde idéal, les deux étaient nécessaires, mais la limitation du budget, tout comme le coût de l’inflation, ont forcé à un choix de raison. Acheter massivement comme le fait la Pologne est certes impressionnant, mais outre qu’on verra si les options qui forment le gros des commandes seront levées, il reste également à voir quelle sera la capacité de combat effective : pendant combien de temps cette armée pourra-t-elle combattre ? 

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