Nébuleuse plus qu’organisation structurée, le groupe Wagner s’est transformé en armée parallèle au cours de la guerre actuelle en Ukraine, mais pour un temps seulement. Bien des zones d’ombre subsistent sur sa genèse. Il serait formellement né en 2015 avec comme noyau un groupe de combattants envoyés dans le Donbass l’année précédente, et dirigé par Dimitri Outkine, un ancien lieutenant-colonel du GRU dont l’indicatif radio donna son nom à la nouvelle SMP (Société militaire privée), et à qui incomba le commandement militaire du groupe, tandis que sa gestion globale revint à Evguéni Prigojine, homme d’affaires interlope et homme lige de Vladimir Poutine.
Wagner recruta rapidement des centaines d’ex – militaires avant de les soumettre à un entraînement initial de trois mois. Trois détachements furent rapidement envoyés dans le Donbass, mais c’est surtout la Syrie qui allait asseoir la notoriété de la nouvelle entité (1).
Le monde est à nous
Un premier détachement de combat, soit de 300 à 400 hommes, fut envoyé en Syrie à la suite du déploiement d’un contingent des VSRF (Forces armées de la Fédération de Russie) dans le pays en août 2015. Les mercenaires firent régulièrement office de fer de lance, comme à Palmyre, car le Kremlin n’était pas comptable de leurs pertes puisque ceux-ci ne faisaient pas partie de l’appareil militaire officiel. Ainsi, l’incident de la nuit du 7 au 8 février 2018, où plusieurs dizaines de mercenaires périrent sous les frappes américaines, ne suscita pas de crise diplomatique d’ampleur. En 2017, le nombre de détachements de Wagner opérant en Syrie serait passé à quatre, puis à six, soit environ 2 000 hommes au total, avant que cette présence ne décline à partir de 2018 (2).
La SMP étendit bientôt ses opérations à d’autres pays. La présence de combattants de Wagner en République centrafricaine est ainsi attestée dès la fin de 2017. Ils y assurèrent la protection du président Faustin – Archange Touadéra et ont été engagés au combat, se rendant coupables ce faisant de violations répétées des droits de l’homme. Cette même année, le groupe s’implanta en Soudan où il fournit des prestations de support et d’entraînement aux Rapid support forces (RSF), qu’il semble soutenir dans la guerre civile actuelle qui les oppose à l’armée régulière depuis le mois d’avril 2023. Dans les deux cas, la SMP se finance grâce à l’obtention de concessions minières.
Un contingent de Wagner supérieur à un millier d’hommes a soutenu les assauts de l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar contre Tripoli en avril 2019 et en juin 2020. Le groupe aurait déployé ensuite, en septembre 2019, de 150 à 200 hommes au Mozambique, là aussi pour assurer la sécurité de la présidence avant qu’ils ne soient engagés dans des opérations de contre – insurrection dans la province de Cabo Delgado. Les mercenaires ne brillèrent guère par leur efficacité et se virent remplacés dès la fin de l’année par une SMP sud – africaine. Une seconde intervention dans l’ancien pré carré français intervint en décembre 2021, cette fois en se portant au secours d’une junte malienne de plus en plus isolée, avec le déploiement progressif de près d’un millier d’hommes chargés d’encadrer les forces armées maliennes. Du fait de ces engagements, le groupe aurait compté au moins 5 000 combattants actifs au début de l’année 2022 (3).
Opération « K »
Wagner n’a pas été impliqué durant les premières semaines de « l’opération militaire spéciale » contre l’Ukraine. Dès la fin du mois de mars 2022, cependant, trois détachements de Wagner, soit plus d’un millier d’hommes, prenaient part aux combats sur le sol ukrainien, à Kharkiv, à Marioupol, puis à Popasna. Ces détachements servirent alors de troupes d’assaut, intervenant en troisième échelon à la suite des unités séparatistes, puis des VSRF, et auraient joué un rôle majeur dans la prise de Popasna début mai. L’implication de la SMP dans le Donbass s’intensifia par la suite. Elle étendit aussi le spectre de ses activités puisqu’un pilote de Su‑25 employé par elle se fit abattre et capturer par les Ukrainiens le 17 juin 2022. Le 2 décembre 2022, deux autres mercenaires perdirent la vie lorsque leur Su‑24 fut détruit par la défense antiaérienne ukrainienne (4).