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Yémen : l’émergence des Houthis comme acteur régional

L’année 2023 a été marquée par un calme relatif au Yémen. Comparativement aux années précédentes, la violence y a été relativement limitée. Le processus de paix a néanmoins peu progressé, et il y a peu d’espoir d’une percée importante en 2024. Ce blocage est le résultat direct de la dynamique sur le terrain, qui n’offre pas les conditions nécessaires à l’établissement d’un réel processus de paix pouvant mener à une réconciliation nationale et à la fin des violences. 

Les Houthis, un acteur à l’ambition croissante

En effet, les Houthis, soutenus par l’Iran, ont gagné la guerre qui fait rage au pays depuis des années. Dans la mesure où les Houthis sont intéressés pour discuter, ce n’est que pour négocier la défaite et le retrait de l’Arabie saoudite, qui est intervenue militairement au pays en 2015 à la tête d’une coalition de dix pays dans le but de refouler les Houthis. L’objectif des Houthis est donc de consolider leurs gains et d’obtenir la reconnaissance et la légitimation de leur statut en tant qu’acteur dominant au Yémen. 

Si les Houthis ne sont toujours pas reconnus par la communauté internationale en tant que gouvernement légitime du Yémen, ils représentent néanmoins l’autorité de facto, de par leur contrôle de la capitale, Sana’a, et l’absence de rivaux politiques ou militaires au pays. Or, l’émergence des Houthis a des conséquences importantes au-delà des frontières du Yémen : ils sont devenus un acteur régional influent, avec leurs propres intérêts en matière de politique étrangère. L’année 2024 verra donc les Houthis continuer à jouer un rôle régional de plus en plus ambitieux. 

En effet, les Houthis sont devenus un membre important de « l’axe de la résistance », le réseau d’acteurs non étatiques armés soutenus par l’Iran et qui inclut notamment le Hezbollah libanais, le Hamas et le Djihad islamique dans les Territoires palestiniens occupés, ainsi que des milices en Syrie et en Irak. Ils ont grandement, au cours des dernières années, développé leurs relations avec le Hezbollah, coopérant en matière de formation, de transfert d’armes iraniennes, et de communications. Il s’agit d’une évolution importante. Il y a quelques années, les relations bilatérales au sein de ce réseau passaient principalement par Téhéran. Mais si l’Iran demeure le leader incontesté, la sophistication et l’institutionnalisation croissante du réseau ont vu le développement de relations directes entre ces groupes soutenus par l’Iran. C’est dans ce contexte qu’il faut aujourd’hui parler de la politique étrangère des Houthis et de leur influence régionale, et non pas seulement domestique, une évolution qui transforme l’équilibre de la puissance sur la péninsule Arabique et même en mer Rouge. 

Les Houthis, un acteur régional

Les Houthis ont, en grande partie grâce au soutien de l’Iran, acquis des drones et des missiles ayant la capacité de frapper Abu Dhabi et Dubaï, aux Émirats arabes unis, ainsi que les grandes villes et infrastructures critiques, notamment pétrolières, d’Arabie saoudite. La simple menace de telles frappes permet aux Houthis d’exercer une pression majeure sur l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et donc de contraindre leur marge de manœuvre. Il s’agit d’une nouveauté importante. En 2015, lorsque l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont déclenché leur intervention au Yémen, les Houthis, et leur partenaire iranien, ne possédaient pas les capacités leur permettant de limiter ainsi les options de Riyad et d’Abu Dhabi. 

À propos de l'auteur

Thomas Juneau

Professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et auteur du livre Le Yémen en guerre, publié aux Presses de l’Université de Montréal en 2021.

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