Pour vous présenter à nos lecteurs, pouvez-vous revenir brièvement sur votre parcours ? Comment vous est venu l’attrait pour la cybersécurité ?
Anne-Laure de La Rivière. J’ai très tôt remarqué que les organisations peinaient à recruter les talents d’aujourd’hui et de demain et que, parallèlement, les écoles avaient du mal à intéresser les jeunes à la cybersécurité. C’est ironique vu le panorama technologique que nous, et particulièrement les jeunes, côtoyons tous les jours.
C’est en faisant ce constat que j’ai choisi de rejoindre en 2021 le bureau de l’association Women4Cyber France, chapitre français de la fondation européenne. Je travaille également depuis de nombreuses années pour Gatewatcher, une PME française qui propose des solutions de détection des cyberattaques. C’est cette expérience sur le terrain qui m’a permis de prendre conscience de l’ampleur de la tâche à mener, afin d’intéresser et de fédérer les hommes et surtout les femmes à la cybersécurité.
Pouvez-vous nous présenter Women4Cyber France ?
Women4Cyber France a pour objectif de promouvoir la diversité et l’inclusion des femmes dans le domaine de la cybersécurité, mais également de sensibiliser les femmes à cet univers. C’est un milieu encore très opaque et truffé de stéréotypes. Pourtant, les équipes mixtes sont souvent plus efficaces (1), plus créatives, et génèrent des solutions plus équilibrées.
J’ai interrogé le responsable de la sécurité des systèmes d’information d’un grand laboratoire pharmaceutique qui me disait qu’avoir des femmes dans l’équipe permettait d’avoir une autre perception des attaques, une autre manière de répondre. Ce qui est intéressant, c’est la diversité de profils. Si les équipes sont homogènes, nous n’avons pas cette diversité d’imagination qui permet de penser comme l’attaquant.
L’association offre un réseau professionnel, des opportunités de mentorat et des initiatives visant à encourager la participation des femmes dans ce secteur en croissance. C’est crucial pour le développement du vivier de compétences, d’autant plus que cette inégalité porte aujourd’hui préjudice à notre économie et à notre souveraineté.
Même si de nombreuses femmes ont été pionnières dans l’histoire de l’informatique, ce milieu semble encore très masculin. Observez-vous malgré tout des tendances positives ?
Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 11 % des salariés dans le secteur de la cybersécurité. Pour autant, elles n’ont pas toujours été sous-représentées dans ce milieu. Je pense par exemple à Ada Lovelace, qui a créé en 1843 le premier programme informatique de l’histoire, bien avant que la notion même d’ordinateur n’existe, ou encore à Grace Hopper, qui va justement imaginer un siècle plus tard le premier modèle d’ordinateur. Ces femmes sont de véritables sources d’inspiration.
De nombreux stéréotypes ont contribué à éloigner les femmes de cette filière tout au long des années. Cependant, il est encourageant de noter que des initiatives visant à promouvoir la diversité et l’inclusion gagnent en importance. De nombreuses organisations, dont Women4Cyber France, s’efforcent de créer des espaces plus équitables en encourageant la participation des femmes dans la cybersécurité et les domaines connexes. Des progrès sont réalisés, et il est important de le souligner, mais il reste encore du travail à accomplir pour parvenir à une représentation plus équilibrée et à une déconstruction des stéréotypes.
D’après vous, qu’est-ce qui contribue, encore aujourd’hui, à créer un tel fossé ?
Selon moi, plusieurs facteurs contribuent à maintenir cette disparité. L’un d’eux, si ce n’est le plus saillant, est la perpétuation des stéréotypes de genre. Ce sont eux qui influencent les choix éducatifs et professionnels des individus dès le plus jeune âge. Ce n’est pas exagéré, les femmes ont cessé de s’identifier à la tech en grande partie à cause de l’image que ce secteur s’est mis à renvoyer. Progressivement, on a observé que les techniques de marketing se sont mises à genrer la tech ; on peut prendre l’exemple criant de la Game Boy : pourquoi pas la Game Girl ? Petit à petit, pour les entreprises, la cible est devenue les garçons. C’est à ce moment-là qu’est né le rôle modèle du « geek » seul dans sa chambre, derrière son écran.