Le Moyen-Orient est riche en crises de prolifération nucléaire. Des premières recherches irakiennes – soutenues par la France – dans les années 1970 à l’échec des négociations sur le retour à l’accord avec l’Iran de 2015 (JCPoA, selon le signe anglophone), en passant par la destruction du programme clandestin syrien par Israël en 2007, de nombreux États de la région ont souhaité se doter de l’arme atomique ou ont engagé des démarches en ce sens. À ce jour, seul l’État hébreu a réussi. En parallèle, un autre type de prolifération, plus aisé, s’accélère : celui des missiles balistiques et de croisière.
Moins régulés par le droit international, pouvant emporter des charges conventionnelles comme nucléaires, ces arsenaux ont une place particulière dans les dynamiques stratégiques au Moyen-Orient. L’Iran est en tête des pays proliférants sur le plan de la menace balistique, avec un stock estimé à 3 000 projectiles de courte et de moyenne portée (entre 300 et 1 000 kilomètres, dont les Shahab et les Fateh), ainsi que des missiles de croisière dont la précision s’accroît régulièrement. La République islamique diffuse aussi ces armes auprès de ses relais d’influence (proxies), comme le Hezbollah libanais et les houthistes au Yémen. Israël arrive en seconde position, ses missiles duaux lui permettant d’exercer une dissuasion conventionnelle et nucléaire en jouant sur l’ambiguïté d’un possible emploi de l’arme atomique (1). Enfin, de nouveaux venus apparaissent, en particulier l’Arabie saoudite.
Une région « balistiquement » dynamique et… à risque
Les premières occurrences d’emploi de missiles balistiques au Moyen-Orient remontent à la guerre Iran-Irak (1980-1988), pendant laquelle près de 400 Scud auraient été tirés par les deux belligérants, majoritairement d’Irak en direction de villes iraniennes. Dans un premier temps incapable de riposter, la République islamique acquiert ses propres Scud auprès de la Libye et de la Corée du Nord, rééquilibrant la relation entre les combattants. Bagdad continue d’accorder une place importante aux missiles balistiques durant le conflit avec le Koweït (1990-1991) puis contre les forces américaines en 2003, mais la destruction de son armée et de ses capacités militaires a fortement réduit l’arsenal étatique irakien. C’est donc l’Iran qui prend le dessus en la matière au Moyen-Orient, d’abord en poursuivant sa politique d’achats auprès de pays producteurs, puis en développant sa propre industrie. Utilisés pour attaquer les voisins, mais aussi comme vecteur de dissuasion conventionnelle afin de se prémunir de toute frappe contre son territoire, les missiles acquièrent un rôle prépondérant dans une stratégie de « défense en mosaïque » ou « guerre combinée », mise en œuvre par les Gardiens de la révolution (pasdaran). La République islamique a même employé ses projectiles contre un autre pays, l’Irak, contre des bases occidentales en janvier 2020 après l’assassinat par les États-Unis du commandant de la force Al-Qods, Qassem Soleimani.
L’arsenal iranien est diversifié : neuf modèles de missiles balistiques (courte et moyenne portée) seraient opérationnels, trois de croisière, un véhicule de lancement de satellites (2). Une partie de ces missiles seraient capables d’emporter une tête nucléaire en cas de fabrication par l’Iran d’une charge fonctionnelle. Soucieux de renforcer l’efficacité de ses réseaux d’influence et la protection territoriale qu’ils lui offrent, Téhéran effectue des transferts de technologie à destination de plusieurs groupes paramilitaires au Moyen-Orient. Cette démarche n’est pas sans risques : les convois de livraison peuvent être pris pour cible par les forces opposées à l’expansion de l’influence iranienne dans la région, tandis que des attaques conduites à l’aide d’une technologie iranienne pourraient être attribuées à l’Iran. Or cela nuirait à la stratégie de Téhéran, qui vise à nier tout lien avec ses proxies afin d’éviter une escalade directe avec les États-Unis.
De ce fait, les transferts ne concernent que des missiles de faible précision. Le missile balistique le plus performant dans l’arsenal du Hezbollah est le Fateh-110, avec une portée maximale de 300 kilomètres, ce qui le place loin des « meilleurs » projectiles iraniens, qui peuvent atteindre ou dépasser les 1 500 kilomètres. Même si une portée accrue pourrait aider le Hezbollah pour cibler le territoire israélien en profondeur, il est probable qu’un tel transfert serait considéré comme hautement escalatoire par Israël, qui prendrait alors les mesures nécessaires pour l’empêcher. Quant à la Syrie, ses stocks comptaient parmi les plus importants de la région dans les années 1990, grâce à des acquisitions en Union soviétique, en Chine, en Corée du Nord et en Iran. Une industrie nationale capable de produire des Scud-D et des Fateh-110 s’est ensuite développée, en parallèle d’un programme nucléaire clandestin. Cependant, la guerre en cours depuis 2011 a épuisé les stocks, réduisant la menace balistique posée par le régime de Damas.