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Microlanceurs : lancements réactifs et solutions pour la défense

Alors que le marché des microlanceurs est encore en phase naissante, ce sont des dizaines d’entreprises dans le monde qui se sont lancées sur ce segment au cours des dernières années. Ces sociétés, essentiellement des start-up, ont rapidement identifié un catalogue de clients scientifiques ou commerciaux. En revanche, on en sait un peu moins sur le potentiel militaire de ces lanceurs.

Le 15 septembre 2023, la start-up texane Firefly Aerospace, avec un préavis de seulement 27 heures, place sur orbite héliosynchrone un satellite au profit de l’US Space Force et de la Defense Innovation Unit (DIU). C’est la mission « TacRS 3 », pour Tactically Responsive Launch‑3. Elle vise à tester le lancement réactif, et donc sous un très court préavis, d’une charge utile, ici un smallsat « Victus Nox » (Millenium Space/Boeing) de connaissance de la situation spatiale en orbite basse et, dans ce cas précis, un satellite d’inspection. Pour la jeune société Firefly Aerospace, il ne s’agit que du troisième essai de son lanceur léger Alpha, et de sa première réussite. La mission, qui mobilise toute la chaîne opérationnelle (logistique, segment sol, lancement, opérations en orbite), est remplie.

La bien nommée TacRS 3 est la troisième mission de ce genre menée pour la Space Force depuis 2021, et doit montrer aux compétiteurs stratégiques des États-­Unis « la vitesse, l’agilité, et la flexibilité » dont peuvent faire preuve les forces américaines en réponse aux « changements dynamiques dans le domaine spatial ou sur un théâtre opérationnel », en étant capables d’insérer ou de remplacer des actifs en orbite de façon beaucoup plus rapide que selon les délais standards. L’objectif ultime, tout à fait officiel, est de pouvoir disposer d’une capacité opérationnelle en 2025 ou en 2026.

Cette volonté est motivée par la montée en puissance significative des Chinois (1), qui ont développé durant la dernière décennie des procédures de « responsive space » (ce terme ne couvre pas spécifiquement le lancement réactif, mais plus globalement la résilience de l’architecture spatiale) qui leur garantiraient une avance sur les Américains dans ce domaine précis du tactical responsive launch (TRSL). En effet, les principaux groupements industriels d’État (CASC, CASIC) ont produit une gamme de lanceurs comme la série Smart Dragon, capables, pour le plus petit d’entre d’eux, d’envoyer 500 kg en orbite géosynchrone. Il existe également une offre issue du New Space chinois (une notion à relativiser au regard du contrôle que garde l’État sur ces « start-up », qui sont en réalité surtout des spin-offs) avec par exemple les petits lanceurs de CAS Space, de iSpace ou de Galactic Energy. La particularité de ces derniers est double : la propulsion solide d’une part, et la faible empreinte logistique d’autre part. Ces deux facteurs s’avèrent déterminants, puisque l’on imagine en Chine l’éventualité selon laquelle ces fusées seraient tirées à partir de véhicules tracteurs-­érecteurs-lanceurs. Une solution idoine en cas de conflit majeur…

Une idée qui n’est pas nouvelle, même en France

On reparle aujourd’hui du lancement réactif dans un contexte international de rivalités entre puissances dont on redoute qu’il puisse s’étendre jusqu’à l’orbite, mais les scénarios de la guerre froide, à mesure que croissaient les flottes de satellites, prenaient déjà en compte la nécessité de remplacer au plus vite des actifs neutralisés, à l’Est comme à l’Ouest.

En France, on se souviendra qu’à la fin des années 2000, Dassault Aviation avait mené des études poussées sur un lanceur aéroporté MLA (Mini-lanceur aéroporté), dans le cadre de l’initiative multinationale « Aldebaran » lancée en 2005 par le Centre national d’études spatiales (CNES). Il était alors question d’utiliser un Rafale Marine (2) pour envoyer des charges utiles – civiles ou militaires – allant de 50 à 200 kg en orbite basse pour la version monocorps (un étage solide/un étage liquide) de ce microlanceur aéroporté ; 150 kg sur orbite polaire pour l’autre version « trimaran » dotée de deux boosters à propulsion solide. Il s’agissait même de la résurgence d’une idée plus ancienne qui visait à associer un microlanceur au bombardier stratégique Mirage IV, qui aurait ainsi été capable de placer 50 à 70 kg à 300 km d’altitude. Le MLA n’ira cependant pas plus loin, les partenaires européens ne montrant pas d’intérêt significatif pour le projet, alors même que le CNES étudie tout le catalogue d’avions de combat aptes à porter le microlanceur, y compris le MiG‑31 !

Le MLA était un projet particulièrement avant-­gardiste, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le constat établi il y a presque vingt ans, selon lequel le marché des petits satellites s’apprêtait à exploser s’avère tout à fait juste. Deuxièmement, l’avion de combat déjà disponible permet une économie de coût substantielle (un groupe de travail européen étudie même la faisabilité d’un lancement depuis la soute d’un Airbus A400M, mais juge la procédure trop complexe) tout en facilitant l’exploitation opérationnelle du lanceur (l’infrastructure au sol comprend seulement un bâtiment d’intégration, une zone de remplissage des ergols et une piste d’envol), ce qui correspond aux exigences de flexibilité d’un lancement réactif militaire. D’autant plus que l’avion porteur offre un gage de sécurité en s’éloignant des zones habitées. Enfin, Dassault Aviation identifie dès cette époque une niche économique, jugeant que l’utilisation d’un microlanceur apporterait une solution de lancement à la carte pour tous les smallsats contraints de se partager les places de passagers auxiliaires sur les plus gros lanceurs, comme c’est le cas aujourd’hui chez SpaceX avec le programme Transporter. Un argument désormais repris en chœur par tous les promoteurs des microlanceurs.

Le graal de la flexibilité opérationnelle

Nous distinguons donc aujourd’hui deux voies différentes : la doctrine chinoise repose sur la planification et le recours à des solutions préétablies, disponibles en nombre et en tout temps (c’est dans ce cas l’usage généralisé de la propulsion solide), quand celle qui a désormais la préférence des autorités américaines favorise l’offre commerciale, censée apporter davantage de flexibilité. C’est tout l’intérêt d’un programme comme TacRS, qui permet d’affiner les procédures, notamment logistiques. Il s’agit par exemple de pouvoir disposer sur le marché de briques modulaires aptes à être intégrées à la bonne architecture, au bon moment, selon un besoin donné. L’US Space Force affirme même sa volonté de ne plus avoir à conserver de satellites en réserve, et les compagnies qui concourront à leurs appels d’offres devront faire des propositions incluant des prototypes prêts à être lancés dans un délai de 12 à 18 mois, le lancement rapide sous 24 heures, pour une pleine capacité opérationnelle dans les 48 heures suivant la mise sur orbite.

Mais justement, dans le cadre de sa stratégie spatiale de défense, quel modèle de lancement réactif pour la France (3) ? Revenons tout d’abord sur la solution aéroportée, par ailleurs utilisée en 2021 pour la mission américaine TacRL‑2, grâce au lanceur Pegasus XL de Northrop Grumman. En France, c’est la start-up Dark qui a l’ambition de reprendre l’héritage du MLA en développant depuis l’aéroport de Bordeaux-­Mérignac un service de lanceur aérolargué, pour des missions de nettoyage de l’orbite. Mais le projet n’est pas à un stade très avancé. En Europe, Virgin Orbit a longtemps tenté de convaincre l’OTAN que sa solution permettrait de pouvoir décoller d’une vingtaine de pistes déjà bâties sur le continent et outre-­mer. Un élan brisé en 2023, alors que Virgin annonçait regarder avec intérêt les réflexions de la Royal Air Force britannique sur le sujet du lancement réactif, jugeant que la sécurité nationale pouvait représenter jusqu’à 50 % du marché. En effet, en janvier 2023, l’échec du lancement de son « Launcher One » allait directement précéder la faillite de l’entreprise – dès le mois de mars – et le démantèlement de ses actifs. Les ambitions stratégiques du Royaume-­Uni s’en trouvent impactées, tout comme celles de l’Australie, du Japon, ou même du Luxembourg, qui discutaient tous avec Virgin Orbit.

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