La violence fait partie du paysage politique américain depuis longtemps (1). Mais la période actuelle se distingue par l’appui ouvert de l’ex-président et candidat Donald Trump à l’extrême droite radicale, qu’il associe à sa base électorale, alors même que la violence d’extrême droite est la principale menace interne à laquelle font face les États-Unis.
James Madison et Alexander Hamilton affirment dès 1787 dans le Federalist Paper #10 que le factionnalisme, soit la division de la population en groupes farouchement opposés les uns aux autres, est le principal danger qui guette la jeune République (2). Le factionnalisme proviendra, craignent-ils, de la montée d’un groupe décidé à se maintenir au pouvoir quitte à limiter la liberté et les droits de l’ensemble des citoyens pour atteindre cet objectif. Issus d’une élite éduquée, riche et homogène, Madison, Hamilton et les autres pères fondateurs redoutent la manipulation des classes laborieuses par un groupe d’intérêt pour en arriver à ses fins aux dépens du bien commun et de la pérennité de la république. La division des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire en trois branches indépendantes et capables de se bloquer les unes les autres par un système de poids et contrepoids devait en principe éviter la concentration du pouvoir et ainsi limiter l’émergence d’une telle élite. Force est de constater l’échec du système constitutionnel madisonien. Le fédéral est en ce moment bloqué par des factions rendant difficiles des processus de base comme l’adoption du budget annuel. Ces factions menées par les deux principaux partis politiques que sont les démocrates et républicains scindent la société américaine et minent la crédibilité de l’Union.
Pire, le 6 janvier 2021, pour la première fois de l’histoire du pays, la passation des pouvoirs au président élu, le démocrate Joseph Robinette Biden, s’est fait dans la violence. Des émeutiers encadrés par des miliciens affiliés à des groupes d’extrême droite comme les Oath Keepers, les Three Percenters (ou III%ers) et les Proud Boys ont pris d’assaut le Capitole alors que le décompte des votes des grands électeurs se tenait sous la supervision du vice-président républicain, Mike Pence. Encouragée par le président sortant Donald Trump, la foule s’est introduite de force dans le Capitole afin de bloquer la confirmation de l’élection de 2020. L’événement a pris fin après plus de cinq heures, Trump refusant d’intervenir, bien qu’il suivît les événements en direct à la télévision, soit en appelant les forces de l’ordre, soit, au minimum, en demandant aux émeutiers de rentrer chez eux (3). Depuis, alors que des milliers de personnes ont été condamnées à des peines de prison, Trump, ses supporters et l’essentiel du Parti républicain continuent de nier le résultat de l’élection de 2020 et surtout minimisent les violences du 6 janvier 2021. L’ancien président promet même de gracier les émeutiers condamnés qu’il qualifie de martyrs de la démocratie.
Civil War : de la fiction à la réalité ?
Sorti récemment en salle, le long-métrage Civil War (2024) d’Alex Garland raconte l’histoire d’un groupe de journalistes couvrant une guerre civile fictive aux États-Unis (4). Ceux-ci décident d’aller interviewer le Président, chef de l’une des factions qui luttent pour le contrôle du pays. Entre New York et Washington D.C., ils traversent un territoire sans cadre légal peuplé d’hommes armés. L’absence de cadre fait qu’à chaque rencontre, peu importe l’uniforme ou l’accoutrement des protagonistes croisés par les journalistes, il est difficile d’identifier la cause pour laquelle ils se battent tant le pays est divisé en multiples factions. Dans un décor bucolique, les journalistes rencontrent un groupe d’hommes en uniforme qui détiennent l’une d’entre eux. Joel (Wagner Moura) s’adresse à l’un des miliciens armés d’un fusil semi-automatique (Jesse Plemons) :
« [Joel :] “There’s some kind of misunderstanding here.”
[Milicien :] “What ?”
[Joel :] “We’re American, okay ?”
[Milicien se grattant la joue :] “Okay… What kind of American are you ?” »
Ce passage du film Civil War illustre bien le grand danger qui guette les États-Unis à la veille de l’élection présidentielle de 2024, à savoir la dislocation du consensus national par des groupes extrémistes tenant un discours identitaire. Bien que le déclenchement d’une guerre civile proche de ce que Garland présente soit peu probable, la société américaine est aujourd’hui polarisée et divisée sur différents enjeux fondamentaux allant de l’avortement au droit de porter des armes en passant par le droit de vote, l’immigration et le résultat des élections de 2020. Certains groupes, tant à droite qu’à gauche, sont composés d’extrémistes radicaux qui forcent la population et leurs représentants en posant la question : « Quel type d’Américain êtes-vous ? »
Une extrême droite dangereuse ?
Si les années 1960-1970 furent le théâtre d’événements violents liés à la guerre du Vietnam (1965-1975), au mouvement pour les droits civiques et à la résistance aux changements proposés, l’année 2024 se distingue par l’appui ouvert de l’ex-président Trump à l’extrême droite radicale qu’il associe à sa base électorale. Même avant la guerre de Sécession, le président James Buchanan, sympathique à la cause esclavagiste, suit le cadre constitutionnel et accepte l’élection du républicain Abraham Lincoln, bien que ce dernier fût hostile à l’expansion de « l’institution particulière ».