Vous êtes cotitulaire de la chaire de Sécurité globale, inaugurée en 2019 à la fois à l’UTT, à l’ENSP et à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Pouvez-vous introduire nos lecteurs au concept de sécurité globale, que vous avez contribué à populariser dans le monde académique dès les années 2000 ?
Ce concept répond à une évolution multiple de la société, qui connaît à partir des années 2000 une certaine évolution de la délinquance vers le terrorisme, ainsi qu’une utilisation accrue des outils technologiques qui peuvent contribuer à la menace, mais également servir les forces de sécurité. J’avais à ce moment-là déjà travaillé en Angleterre sur la question du hooliganisme, et c’est là que l’on a pu constater l’efficacité de l’application des évolutions technologiques, puisque la vidéosurveillance a quasi éradiqué le hooliganisme à l’intérieur des stades.
À l’époque, on a aussi fait le constat d’une dimension d’activité – dans le domaine de la sécurité – qui ne souffre plus la rupture. On ne peut plus penser en termes binaires, avec une opposition entre temps calmes et périodes agitées ; il faut au contraire penser en termes de fluidité, de continuité et d’adaptation permanente des modes d’action, y compris en faisant usage des dernières technologies.
Pour répondre à cette nouvelle approche de la sécurité, il faut donc mettre des moyens en place selon deux directions. D’une part, il faut une gestion permanente des situations ; et d’autre part, une gestion des points particuliers à l’instant où ils émergent. Concrètement, avec le concept de sécurité globale, on va travailler avant tout sur un objectif à atteindre pour lequel on rassemble des universitaires, des entreprises ou des institutionnels qui vont, ensemble, étudier les différentes solutions techniques ou méthodologiques qui s’offrent à eux.
Il faut bien voir que la mise en place des méthodes de la sécurité globale, historiquement, se fait parallèlement à l’évolution institutionnelle du ministère de l’Intérieur, qui est devenu bien plus généraliste dans ses attributions, et à la transformation du ministère de la Défense en ministère des Armées. Les ministères régaliens ont alors été obligés d’élargir totalement leur façon d’aborder les problématiques avec, notamment pour le ministère de l’Intérieur, l’évolution de la menace terroriste.
Il a donc fallu changer de méthodologies ?
Tout à fait. Dans ce contexte, la sécurité globale n’offre pas tant une expertise qu’une méthodologie appliquée, dans le cadre d’une action collaborative, qui permet d’anticiper les risques et d’éviter la surprise. Les expertises préexistantes, elles, restent aux mains des sciences sociales et des ingénieurs, et l’approche de la sécurité globale consiste à amener ces expertises sur des collaborations qui cherchent à répondre à des problématiques données. On parle ici évidemment de collaborations entre administrateurs civils, forces de l’ordre, sécurité publique, fournisseurs d’équipements, etc. Et les problématiques en question sont de l’ordre du maintien de la paix, de la lutte antiterroriste, de la prévision des risques et de toute autre prérogative de la sécurité civile ou même militaire.
Mais, au-delà des aspects de collaboration, le concept de sécurité globale se confronte également à une difficulté d’ordre temporel. Il y a 30 ou 40 ans, les évolutions au sein de la société civile prenaient un peu de temps, et permettaient aux institutions de s’y adapter, voire de les anticiper. Aujourd’hui, les bouleversements sont très rapides. Mais dans le même temps, le ministère de l’Intérieur, qui est un ministère de réponses, a aussi dû évoluer très rapidement dans cet axe, le tout avec des contraintes en matière de budget et de ressources humaines. La mise en place de méthodologies de sécurité globale permet de réunir autour d’une table des interlocuteurs académiques, institutionnels, opérationnels, industriels, administratifs qui, ensemble, pourront repérer, développer et mettre en application très rapidement les éléments pertinents développés par la recherche, qu’il s’agisse de méthodologies issues des sciences sociales ou de brevets techniques. Le tout, bien sûr, en étant capable d’assumer budgétairement ce processus de valorisation et de mise en action des avancées techniques et scientifiques. Si je devais faire une comparaison avec la médecine, je dirais que la sécurité globale, c’est un peu comme une grande réunion préopératoire où les chirurgiens, les médecins spécialisés, les infirmiers et les techniciens de radiologie se concertent tous ensemble avant une opération. On s’assure alors que l’opération se passera vite et bien, bien mieux en tous cas que si chacun découvrait sur le tas les consignes du chirurgien.