L’une de nos préoccupations, à la chaire de Sécurité globale de l’Université technologique de Troyes, est d’accompagner les décideurs ainsi que tous ceux qui vont être en difficulté dans les prochaines années face à des défis sécuritaires, à la fois sociaux et technologiques qu’ils ne peuvent humainement pas appréhender seuls dans le temps court que représente un mandat politique ou un poste administratif. Pour que le concept de sécurité globale fonctionne, le décideur doit impérativement y être partie prenante. Il doit non seulement en être à l’initiative, mais également à la décision finale. C’est d’ailleurs pour cela que l’École nationale supérieure de la police (ENSP) fait partie intégrante de la chaire Sécurité globale, pour amener le décideur à l’initiative de la recherche, l’amener vers le monde académique. C’est primordial, parce que si les décideurs participent à la définition de la recherche, il sera beaucoup plus facile d’intégrer la réflexion et l’objectif final. Ce que propose la sécurité globale, c’est donc une plateforme de recherche à finalité opérationnelle.
Pouvez-vous nous donner des exemples d’avancées techniques et théoriques, dans le champ de la sécurité, qui ont pu être développées ou codéveloppées au sein de l’UTT ?
Il y a un certain nombre de choses comme la vidéosurveillance intelligente par exemple, qui résonnent avec les appels à projets de l’ANR (Agence nationale de la recherche), sur la sécurité globale ou la cyber.
On peut citer le développement d’outils technologiques pour la sécurisation de sites. Au niveau de l’Université, nous avons développé des capteurs associés à de l’intelligence artificielle pouvant être embarqués sur des drones. Les applications potentielles sont diverses. Cela peut aller de la surveillance au profit de la SNCF à la recherche de patients souffrant d’Alzheimer qui se seraient égarés, pour les centres hospitaliers. L’utilisation d’IA, de senseurs évolués et, selon les usages, de drones, offre énormément de potentiel, et plusieurs autres applications sont en cours de maturation. On peut citer notamment, pour des applications industrielles, la capacité à délimiter des zones d’accès dangereux ou restreint, couplée à une surveillance permanente autonome pour assurer la sécurité du personnel à proximité de ces zones. Toujours pour le compte de la SNCF, on peut ainsi modéliser une gare en 3D, et utiliser ensuite des algorithmes boostés à l’IA pour, par exemple, imaginer les conséquences d’un bagage oublié à tel ou tel endroit sur les flux de voyageurs, ou évaluer le temps que prendrait l’évacuation de la gare à partir de telle ou telle sortie, etc. En matière de surveillance pure, l’IA a aussi l’avantage de l’ubiquité et de la réactivité, et permet par exemple de repérer en temps réel une personne qui chute par terre, ou un bagage qui tombe sur une voie, etc. L’idée étant toujours d’utiliser l’IA pour seconder les opérateurs humains, pour leur permettre de faire leur travail plus efficacement, plus vite, plus simplement, et en minimisant les erreurs.
En matière de nano-optique, d’autres équipes travaillent également avec Surys et développent les hologrammes de sécurité que l’on retrouve sur les billets de banque ou les pièces d’identité. Enfin, sur les sciences humaines, nous travaillons continuellement sur les questions de l’apport du management de sécurité en situation de crise.
Nous avons aussi des collègues qui ont développé des encres de nanomarquage pour les antiquités, ce qui est un très bon exemple d’application de la méthodologie de la sécurité globale que nous évoquions plus haut. On sait que le trafic d’antiquités, de pièces archéologiques et d’œuvres d’art vient alimenter toute une criminalité, partout dans le monde, avec d’énormes ramifications et de forts impacts sécuritaires. On a, d’une part, des services de police ou de gendarmerie qui ont un besoin en expertise archéologique afin de retracer le parcours et l’origine des objets et, d’autre part, des archéologues qui ont un besoin de sécurisation de ces mêmes objets. Il y a sept ou huit ans, le projet sur lequel nous avons travaillé est parti de l’initiative de l’ENSP, à laquelle l’UTT a été associée, avec d’autres instituts de recherche. Nous avons commencé à travailler ensemble, c’est remonté dans un programme ANR, puis jusqu’au niveau européen. Et nous avons pu développer une méthode de nanomarquage des artefacts archéologiques, directement sur leurs lieux de découverte, afin qu’ils soient répertoriés dans une banque de données partagée. Le programme de recherche est en cours, et il faut bien sûr trouver un consensus entre archéologues, physiciens et décideurs sur la manière de marquer les objets sans les endommager, tout en faisant en sorte que le marquage reste consultable par les forces de l’ordre et les experts juridiques.
C’est une pure démonstration du concept de sécurité globale : un problème est remonté par les opérationnels, qui ne peuvent le résoudre seuls ; le décideur étant démuni, il demande aux chercheurs, en l’occurrence à nos équipes, de l’accompagner en mettant en place un plateau où vont travailler des physiciens de haut niveau capables d’exploiter de nouvelles technologies, mais aussi des experts en sciences sociales qui peuvent l’aider à définir exactement son besoin.