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C-390 Millenium : le fossoyeur du C-130 Hercules ?

Il faudra par la suite attendre 2020 pour que la Hongrie signifie son intention de commander deux appareils, ainsi que des kits optimisés pour l’évacuation sanitaire et les interventions humanitaires, afin de remplacer ses vieux An‑26 de l’ère soviétique. Mais dès 2022, les choses s’accélèrent, avec une sélection du C‑390 Millenium aux Pays-Bas, face à un C‑130J donné gagnant dans ce marché de remplacement du C‑130H. Le ministère de la Défense néerlandais met alors en avant le coût et la facilité de maintenance de l’appareil, ainsi que sa disponibilité, arguant que cinq C‑390M seraient à mesure de remplir le contrat opérationnel de 4 000 heures de vol annuelles, là où autant de C‑130J ne seraient même pas en mesure d’accomplir 2 400 heures.

Même s’il s’agit ici aussi d’un petit contrat pour Embraer, c’est déjà le troisième en Europe, et le troisième auprès d’un pays de l’OTAN, confirmant le bien-­fondé de la stratégie marketing de l’avionneur brésilien. Et les efforts portent leurs fruits. En septembre 2023, l’Autriche annonce qu’elle remplacera ses C‑130K vieillissants par quatre C‑390, suivie le mois suivant par la République tchèque qui, avec ses deux nouveaux C‑390, va se doter pour la première fois d’un appareil de transport de ce calibre. Deux petits contrats, de nouveau, mais qui montrent la volonté affichée par les petites forces aériennes européennes de monter en gamme sur le segment du transport militaire.

Embraer vs Lockheed Martin

Pour l’heure, les cinq contrats européens portent sur moins d’une vingtaine d’appareils. Toutefois, on constate que, depuis 2019 et la livraison du premier KC‑390 de série à la force brésilienne, Embraer a remporté toutes les compétitions européennes qui l’ont opposé au C‑130J sur ce segment de marché, alors même que Lockheed Martin réalisait encore de très bonnes ventes l’année précédente (3). Pour le géant américain, la situation s’est en effet rapidement dégradée dans la région, avec l’émergence d’une nouvelle concurrence brésilienne, mais aussi l’arrivée à pleine maturité de l’A400M, qui conduit plusieurs opérateurs de Super Hercules (Royaume-­Uni, Italie…) à retirer du service tout ou partie de leurs C‑130J. Des cellules de seconde main qui sont d’ailleurs proposées à la Grèce… qui est également très sollicitée par les commerciaux d’Embraer. Enfin, Embraer et le gouvernement brésilien fondent de gros espoirs sur le marché suédois, où l’acquisition de KC‑390 pourrait être liée à la livraison de nouveaux Gripen suédois à la force aérienne brésilienne. Mais, ici aussi, il faudra se confronter à une rude concurrence américaine.

Si les marchés européens sont très symboliques, autant pour Embraer que pour Lockheed Martin, c’est dans deux autres régions du monde que le C‑390 pourrait venir contrarier les plans de l’avionneur américain. Jusqu’à présent, la région Asie-­Pacifique était considérée comme une chasse gardée pour le C‑130J. Ces dernières années, certaines des plus importantes commandes de Super Hercules ont en effet été passées par l’Inde, l’Australie, l’Indonésie ou encore les Philippines. Mais ici aussi, Embraer vient glisser son grain de sable avec, fin 2023, une première commande par Séoul de trois C‑390 au détriment du C‑130J et de l’A400M. Une décision d’autant plus vexante pour Lockheed Martin que la Corée du Sud utilise déjà le C‑130J. Et Embraer ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, puisque l’avionneur vise également Singapour, pour le remplacement de vieux Hercules, ainsi que l’énorme marché indien, pour une quarantaine d’appareils. Avec une offre commerciale positionnée entre celle de Lockheed Martin (C‑130J) et celle d’Airbus (A400M), les chances d’Embraer sont bien réelles sur un marché indien réputé difficile.

Enfin, outre une série de petits prospects négociés aussi bien à l’échelon politique qu’à l’échelon industriel (Colombie, Angola, Rwanda, Algérie, Afrique du Sud…), Embraer ne cache pas avoir de grosses ambitions au Moyen-­Orient, ici aussi en opposition frontale avec celles de Lockheed Martin, et potentiellement celles d’Airbus. Le rapprochement entre Le Caire et Brasilia pourrait laisser envisager l’acquisition d’un nombre indéterminé de KC‑390, possiblement assemblés en Égypte, pourtant fidèle utilisatrice de la famille Hercules. Fin 2023, un accord a été signé avec l’entreprise saoudienne SAMI pour tenter de vendre l’appareil à Riyad, avec la promesse d’une construction locale. Pour l’ensemble de la péninsule Arabique, Embraer s’est d’ailleurs associé à BAE Systems, très implanté localement, afin d’y commercialiser l’appareil. Alors que de plus en plus de petites puissances cherchent à renforcer leurs ambitions régionales, le marché des avions de transport tactiques rapides (que l’on pourrait aussi qualifier d’avions de transport stratégiques légers) qui n’était jusqu’ici qu’une niche semble bien s’étendre significativement, d’année en année. Face à un C‑130J en perte de vitesse, à un A400M parfois surdimensionné et à un C‑2 japonais bien trop cher, le KC-390 a définitivement de sérieux arguments à faire valoir.

Notes

(1) Le KC-390 est nativement conçu pour pouvoir réaliser des opérations de ravitaillement en vol ou au sol. Les équipements destinés à cette fonction peuvent être débarqués de l’appareil afin de l’alléger et d’optimiser sa capacité de transport. Il prend alors la désignation commerciale C‑390, même s’il s’agit essentiellement du même avion.

(2) En 2009, le président Sarkozy évoquait ainsi l’idée d’acheter quelques KC-390 en complément des A400M français, en cas de sélection du Rafale par la force aérienne brésilienne. Ce contrat échappant à la France, Paris finira par acheter deux KC-130J et deux C-130J-30 américains.

(3) En 2018, le C-130J se vend au Danemark, en France et en Allemagne.

Légende de la photo en première page : Au fil des itérations, la conception du KC-390 s’est significativement éloignée de celle de l’avion de ligne E190, même si de nombreux sous-systèmes issus du marché civil ont été conservés. Cela a permis à Embraer de réellement optimiser son avion pour les besoins militaires, avec un fort focus sur les performances et la disponibilité. (© Embraer/FAB)

Article paru dans la revue DefTech n°09, « Que nous réserve le combat terrestre de demain ? », Avril-Juin 2024.
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