Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Conflits au Moyen-Orient : quel rôle pour la Russie ?

Le Kremlin affirme ses positionnements tactiques sur les différents théâtres de crises au Moyen-Orient en y déployant des réseaux diplomatiques et des partenariats stratégiques, notamment en Libye, au Soudan et en Syrie. La Russie se présente dans la région comme un interlocuteur international de premier rang.

Au Moyen-Orient, les astres semblent s’aligner en faveur des intérêts de la Russie, laquelle intensifie ses liens diplomatiques et accroit globalement son influence, jouant désormais un rôle déterminant dans la plupart des conflits. Tirant habilement profit d’une réduction de l’intérêt des États-Unis pour la région et d’un fort ressentiment anti-occidental des populations locales, Moscou s’emploie progressivement à y substituer, aux côtés de la Chine, une nouvelle pax eurasiatica de nature à bouleverser l’ordre établi après la guerre froide.

Les initiatives russes au sein de la sphère moyen-orientale s’inscrivent avant tout dans une démarche visant à s’ériger comme une force d’équilibre pour la stabilité et la sécurité régionale. En dépit de défis persistants dans chacune des nations visées par cette politique, les efforts russes en vue de pacifier la région démontrent avant tout leur engagement soutenu à réaffirmer leur rang de grande puissance mondiale, alternative fiable face à leurs rivaux occidentaux. Tour d’horizon non exhaustif des positionnements tactiques et des perspectives à moyen terme de la Russie dans sa gestion des conflits en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Le conflit syrien en attente de règlement définitif 

À peine une décennie après le début de son intervention militaire en Syrie, laquelle visait à prévenir l’effondrement imminent du régime de Bachar el-Assad, Moscou continue de jouir d’une série de succès notables : éclipse des influences occidentales de la scène syrienne (2015-2017), initiation du processus d’Astana en collaboration avec la Turquie et l’Iran pour entamer des pourparlers de paix entre les différentes factions du pays (janvier 2017), accord entre les groupes d’opposition et le gouvernement syrien pour former un comité constitutionnel sous les auspices de l’ONU (septembre 2019) ; réintégration effective de la Syrie au sein de la Ligue arabe après plus de onze ans d’exclusion (mai 2023).

À l’heure d’écrire ces lignes, Moscou s’attache à normaliser les relations entre la Turquie, militairement présente dans le Nord de la Syrie pour fournir une aide à la résistance contre le pouvoir en place et pour contrer la menace kurde soutenue par les États-Unis, et la Syrie, qui milite pour le départ des troupes turques et pour le recouvrement d’une souveraineté pleine et entière sur son territoire pré-printemps arabe. Une rencontre sous médiation russe à cet effet s’est d’ailleurs tenue le 11 juin dernier entre responsables militaires turcs et leurs homologues syriens sur la base aérienne russe de Hmeimim, dans la province de Lattaquié, sur la côte syrienne. Les discussions achoppent plus spécifiquement sur le sort réservé aux rebelles et aux civils réfugiés dans les zones contrôlées par l’armée turque. Ankara insiste sur la primauté des garanties de leur protection avant toute discussion sur son retrait éventuel de Syrie. Damas, pour sa part, qualifie le contingent militaire turc de « troupes d’occupation » et souhaite leur départ au préalable. Cette réconciliation, si elle se réalisait, permettrait notamment à Moscou de se concentrer sur ses opérations en Ukraine.

Résoudre l’équation syrienne ne sera cependant pas un défi facile pour la Fédération russe. En effet, les principaux partenaires de Moscou dans ses efforts de médiation pour la paix en Syrie ont tous gagné en importance depuis le début de l’agression russe en Ukraine. Ankara est devenue un intermédiaire indispensable entre la Russie et l’Occident, y compris en matière d’énergie, de sécurité et de renseignement militaire. Un revirement hypothétique de cet acteur serait d’autant plus dévastateur pour les intérêts de Moscou au Moyen-Orient. La position de l’Iran a également évolué. En plus d’être un acteur clé dans le contournement des sanctions occidentales contre Moscou, Téhéran est désormais quasiment impliqué dans le conflit ukrainien du fait de ses livraisons de drones kamikazes à la Russie. Enfin, d’autres États du Moyen-Orient tels que les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar pourraient également formuler diverses exigences dans leurs échanges avec la Russie, telles que leur volonté de participer à la reconstruction de la Syrie ou d’accéder à son marché.

L’aventure calculée libyenne

Depuis 2022, les intérêts de la Russie en Libye se déclinent en quatre axes principaux. La Russie cherche premièrement à pacifier le pays en misant sur son acteur le plus stabilisateur à ses yeux : le général Khalifa Haftar. Il s’agit également pour la Russie de revitaliser ses investissements dans le secteur énergétique libyen, mais aussi dans celui de la défense ou du nucléaire civil. La Russie souhaite dans un troisième temps profiter de la position stratégique de la Libye pour sécuriser des bases russes le long du flanc sud de l’OTAN et pour soutenir ses activités en Afrique sahélienne et sub-saharienne. Une présence russe en Libye offre enfin à Moscou l’opportunité d’exploiter la crise migratoire en Europe pour faire pression sur l’Europe, lui conférant ainsi une capacité de nuisance non négligeable.

Pour atteindre ses objectifs, de premières forces spéciales russes ont initialement dirigé des opérations de déminage, des formations militaires et des missions de liaison avec l’Armée nationale libyenne (ANL) sous le commandement du général Haftar entre 2017 et 2019. Elles n’ont pas hésité à fournir des armes (avions, missiles, véhicules blindés) et des mercenaires pour soutenir la tentative de prise de Tripoli par Haftar. En 2020, le groupe Wagner comptait jusqu’à 1200 contractuels opérant en Libye et fournissait une gamme complète de services typiques des sociétés militaires privées (formation, combat, sécurisation de sites ou de personnes). Ce soutien en effectifs militaires s’est intensifié ces derniers mois, portant à environ 2600 le nombre de combattants supplémentaires (1), potentiellement améliorant la qualité des prestations de sécurité et de défense fournies et étendant les possibilités d’action du groupe paramilitaire (2). Selon toute vraisemblance, ce nouveau contingent serait notamment chargé de la formation des combattants libyens de l’ANL, du recrutement de nouveaux contractuels, de l’exécution de missions ciblées (transport de matériel militaire, sécurisation de sites ou d’installations), et de la participation au déploiement de la mission russe au Niger. 

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