Aplanir les difficultés
De manière générale, que ce soit en France ou en Europe, la tendance générale est à la hausse, aussi bien pour la production d’obus que pour celle de missiles, d’explosifs ou de poudres de propulsion. En France, par exemple, les usines de KNDS/Nexter peuvent aujourd’hui produire plus de 60 000 obus par an contre 40 000 avant la guerre, et la cadence pourrait encore doubler en 2025, notamment grâce à la reconversion d’une partie de l’outil de production de KNDS Belgium, qui devrait pouvoir fournir près de 32 000 obus de 155 mm par an dès l’année prochaine. Même son de cloche chez MBDA, qui a fait progressivement passer sa production de missiles Mistral de 10 par mois à près de 40 d’ici à la fin de l’année. Chez Eurenco, qui a récemment rapatrié à Bergerac la production de poudre un temps délocalisée en Suède, on espère pouvoir fournir en 2025 assez de poudre propulsive pour l’équivalent de 95 000 coups complets, avec un objectif post-2026 de plus de 225 000 équivalents coups complets.
Mais, si les efforts sont concrets, l’évolution reste plus lente que ce que les décideurs et les opérationnels auraient souhaité en 2022. Si le manque de commandes fermes de la part des États en a longtemps été la cause principale, les goulets d’étranglement sont aujourd’hui ailleurs. D’une part, pour produire plus, il faut recruter, alors même que le secteur industriel dans son ensemble connaît une énorme pénurie de main-d’œuvre, notamment en France. D’autre part, partout en Europe, il est souvent très difficile d’implanter de nouvelles usines tant les contraintes réglementaires sont énormes en matière de sécurisation du stockage, de la production et de l’acheminement des matières explosives. Or, un peu partout, les installations existantes commencent à arriver à saturation, si bien qu’il ne sera pas possible de continuer à doubler les cadences de production tous les 12 ou 24 mois sans réaliser de lourds travaux de modernisation et de réagencement… impliquant bien souvent de fermer temporairement tout ou partie des sites de production.
Enfin, l’un des principaux freins à la reconstitution des stocks nationaux et aux livraisons à l’Ukraine est, tout simplement, l’économie de marché. Face à la demande accrue en munitions, le prix actuel d’un obus de 155 mm est souvent compris entre 4 000 et 10 000 dollars l’unité, soit quatre fois plus qu’avant la guerre. Pour les munitionnaires européens, il devient dès lors nécessaire de consacrer une partie importante de leur production à l’exportation hors UE, non seulement pour maximiser leur trésorerie, mais aussi pour accompagner les livraisons des obusiers et lance – missiles exportés par les grands groupes (MBDA, Nexter, Thales, Rheinmetall, etc.). Une tendance qui pousse également à la conservation de marchés captifs, avec des obus optimisés pour un seul type de canon par exemple, malgré le standard STANAG 4425 de l’OTAN.
Ce sera peut-être là, d’ailleurs, l’un des principaux effets de bord bénéfiques des dispositions mises en place par l’AED. En incitant à l’acquisition groupée de lots importants de munitions, et en procédant à des achats directs auprès de plusieurs industriels européens au profit de l’Ukraine, les instances européennes poussent à la consolidation et à la coopération dans la filière munitionnaire. Pour ce qui est de la consolidation, citons notamment l’intégration réussie de KNDS Ammo Italy (ex – Simmel Difesa) et de KNDS Belgium (ex – Mecar) au sein de la direction des munitions de KNDS France, le rachat de l’espagnol Expal par Rheinmetall, ou encore les projets d’implantation de deux nouvelles usines Eurenco dans d’autres pays européens. Et pour ce qui concerne la coopération, on peut rappeler que KNDS France fabriquera des obus et des fusées pour les obusiers allemands, que Rheinmetall a été mandaté pour fournir des éléments (obus, fusées et amorces) destinés au CAESAR français (3), ou encore que de nombreux obus de Rheinmetall, de BAE Systems, de Saab ou de PGZ sont propulsés par des charges fabriquées en France par Eurenco. Outre les besoins déjà exprimés sur le terrain par les forces ukrainiennes, la mise en place d’un véritable écosystème munitionnaire européen pourrait bien permettre une « restandardisation » de certaines munitions, notamment les obus basiques de 155 mm.
Légende de la photo en première page : Les munitions restent le nerf de la guerre en Ukraine… mais aussi pour des arsenaux européens qui remontent en puissance. (© Crown Copyright)