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Le renouveau du missile sol-sol en Europe

L’une des conséquences des opérations multidomaines ou multimilieux/multichamps (M2MC) est la dilatation de l’espace de bataille, avec à la clé la nécessité de pouvoir opérer dans une plus grande profondeur, en vue d’effets opératifs marqués. Cela ne va pourtant pas de soi : au-delà des enjeux interarmées, il y a la question des matériels et des organiques adaptées. Or, le secteur de la missilerie sol-sol, en première ligne dans cette évolution, est aussi de plus en plus dynamique.

En France, la récente mise en place du Commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR) souligne la relation symbiotique entre l’effecteur – l’artillerie – et ses enablers, soit ce qui permet la mise en œuvre effective des feux. Mais elle fait aussi face à des limitations propres : en 2023, un rapport du Sénat indiquait que seulement huit LRU (Lance – roquettes unitaires) étaient encore opérationnels (1). Ces derniers ne disposent pour l’heure que de roquettes missilisées GMLRS, avec une portée limitée à 80 km (2). Le remplacement de ces LRU se prépare, avec l’ambition de disposer de 26 systèmes à l’horizon 2035, potentiellement achetés à l’étranger (l’omniprésent M‑142 HIMARS) ou issus d’une solution nationale ou européenne, alors que l’Allemagne a présenté sa propre solution avec Lockheed Martin. Reste cependant qu’en la matière, le lanceur importe moins que les munitions et les solutions de conduite de tir et de ciblage.

La question centrale des munitions

Derrière les choix à opérer se situe le traditionnel dilemme : une solution française arrivant tardivement sur le marché peut-elle s’y imposer, obtenir des commandes à l’export et ainsi diminuer les prix unitaires, tant des lanceurs que des munitions, dans un contexte imposant de manière évidente la nécessité de la masse ? Les grandes manœuvres dans l’artillerie ayant été lancées dans le plus grand désordre dès 2022, est-il encore possible de s’installer sur ce secteur (3) ? Du reste, les solutions européennes ne le sont pas nécessairement : l’Euro-PULS (Precise and universal launching system) est ainsi le fruit d’un accord de principe entre KMW et deux filiales d’Elbit en juin 2022. Cela interpelle sur la liberté de disposition de ces systèmes, alors que le don à un allié en détresse est devenu une composante stratégique des politiques de défense (4). Quant à la Pologne, si elle produira sur place des K239, ces derniers sont bien évidemment sud – coréens (5).

Surtout, tout cela ne répond pas à la question des munitions et d’une production qui soit souveraine et encore moins à celle de la disposition de systèmes dépassant les 80 km de portée – 150 km pour le FLP‑T (Future longue portée – terre) français. Or le domaine a évolué, à la fois doctrinalement et industriellement. D’un point de vue doctrinal, la guerre d’Ukraine démontre l’utilité des feux de précision à longue portée dans un contexte où l’aviation ne pouvait intervenir. Les GMLRS M‑30 et M‑31 ont ainsi été remarquablement utiles, mais c’est là une limitation fondamentale qu’il faut souligner, lorsque le brouillage GPS n’était pas marqué. De même, les demandes répétées des Ukrainiens pour un missile comme l’ATACMS (Army tactical missile system), livré au compte – gouttes et après de longues hésitations américaines, ont débouché sur des frappes remarquablement précises sur des positions où le brouillage GPS n’était pas établi ou ne semblait pas efficace au regard de la portée et de la vitesse terminale du missile.

La longue traîne de l’ATACMS

D’un point de vue matériel, le domaine est également plus dynamique. C’est d’abord le cas avec l’évolution des engins de la famille GMLRS. Sa variante ER (Extended range) voit sa portée passer à 150 km, au prix de la réduction de la charge explosive, unitaire ou à fragmentation. À titre de comparaison, sur les GMLRS M‑31, la charge unitaire est de 91 kg. Toujours aux essais, le missile a été commandé, en Europe, par la Finlande et l’Estonie. Par ailleurs, la guerre d’Ukraine a vu le lancement de la production en série de la GLSDB (Ground launched small diameter bomb), les premiers exemplaires étant livrés, en retard, en décembre 2023 ou janvier 2024 (6). Les premiers usages sont cependant reconnus comme un échec par le Pentagone, le guidage GPS de l’arme étant neutralisé par le brouillage anti – GPS russe.

Du point de vue des missiles spécifiquement conçus comme tels, historiquement, c’est le MGM‑140 ATACMS qui devient la norme, aux États-Unis, mais également en Europe. Conçu et produit par LTV puis Lockheed Martin, le M‑39/MGM‑140A (ATACMS Block 1) est entré en service en janvier 1991. D’une portée de 165 km et bénéficiant d’un guidage inertiel, il remplaçait le missile Lance, mais perdait la capacité nucléaire, et était doté d’une charge de 950 sous – munitions non guidées M‑74. Il a été produit à 1 650 exemplaires (411 ont été tirés en opération) et exporté en Grèce. Les premiers ATACMS livrés à l’Ukraine par les États-Unis sont de ce type, considéré comme n’étant plus opérationnel, avec des poudres périmées. Le Pentagone estime cependant que la plupart restent utilisables.

Le M‑39A1 (MGM‑140B ATACMS Block 1A), à guidage GPS, a été produit à 610 exemplaires entre 1997 et 2003. Sa charge est réduite à 300 M‑74, mais sa portée passe à 300 km (7). Depuis 2017, au moins 220 M‑39 et M‑39A1 ont été convertis en M‑57E1 (remotorisation, évolution du guidage, remplacement des M‑74 par une charge unitaire) pour le compte des États – Unis. Le M‑48 ATACMS Quick reaction unitary est quant à lui équipé d’une charge militaire unitaire de 227 kg et sa portée est de 270 km. Il a été construit à 176 exemplaires entre 2001 et 2004 (60 tirés en opération). Le M‑57 (ATACMS T2K), dont 513 sont construits de 2004 à 2013, conserve les mêmes caractéristiques que le M‑48, mais est produit à moindre coût. L’ATACMS est toujours fabriqué. Lockheed indiquait en septembre 2023 que 500 exemplaires l’étaient encore annuellement, liés à la dernière commande rendue publique, passée en 2019, qui comprend de nouveaux missiles et la conversion d’autres en M‑57E1. Il poursuit sa carrière commerciale, avec notamment des commandes de la part des pays baltes. Un seul ATACMS peut être tiré depuis le pod de lancement standard utilisé sur un M‑142 ou un M‑270 (8).

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