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Programme chargé pour la Marine nationale

Baltique, Méditerranée, golfe d’Aden et mer Rouge, Indopacifique… L’actualité de la marine est chargée… N’existe-t-il pas un risque de « surchauffe » au vu du nombre réduit de bâtiments ?

Nicolas Vaujour. L’actualité ne laisse aucun répit. Le fait nouveau est que les conflits sont plus violents et qu’ils sont simultanés. Cela crée un double effet : un effet horizontal d’étirement géographique et un effet vertical d’élévation du niveau d’exigence. Et le double effet de tension s’applique sur l’ensemble des missions de la Marine : la dissuasion, la protection dans les eaux territoriales et les zones économiques exclusives, et l’intervention en haute mer ou en zone littorale. La réponse à cette tension sur les moyens et les missions, c’est donc de choisir et de prioriser. C’est une tâche complexe, car la Marine nationale est engagée partout en opérations : en métropole, en outre-mer et sur toutes les mers du monde. Elle est mondiale. Un exemple des réponses à cette tension : la frégate La Fayette a ponctuellement quitté son port base de Toulon pour Brest, afin de remplir les missions dévolues habituellement aux patrouilleurs de haute mer de la façade atlantique.

L’actualité de la Marine qui est la plus visible, comme vous le mentionnez, c’est la mission « intervention », au travers des points chauds en Baltique, en mer Rouge et bien sûr en Méditerranée orientale. Nos bâtiments et aéronefs, qui sont l’expression de la puissance navale, sont prioritairement déployés dans ces zones de crises : les frégates, les sous-­marins, les avions de patrouille maritime, le porte-­avions Charles de Gaulle et son groupe aéronaval. En mer Rouge, depuis décembre 2023, au sein de l’opération de l’Union européenne « Aspides », les frégates de la Marine protègent avec succès le trafic maritime contre les missiles et drones houthis. Protéger les navires de commerce contre les drones ou les missiles, c’est une mission taillée pour une marine de combat. Les frégates sont en première ligne, et les marins continuent de mener sur zone un travail remarquable et difficile. C’est ici que l’on récupère les dividendes d’une préparation, d’un entraînement et surtout d’un état d’esprit endurant et combatif. En mer, un équipage est toujours prêt à basculer de l’entraînement à l’opération. Cette réalité était valable hier et le sera encore demain, d’autant plus sur des bâtiments qui mutualisent les missions de lutte antiaérienne, de lutte antinavire, de lutte anti-­sous-­marine et d’action vers la terre. Dans ce contexte, il s’agit de ne jamais baisser la garde.

Mais c’est la partie émergée de l’iceberg. Car, de manière moins visible, la Marine agit aussi tous les jours en opération en Atlantique, dans la Manche et en mer du Nord, dans les Caraïbes ou en Indopacifique. En Atlantique, par exemple, la Marine nationale et les marines alliées de l’OTAN sont régulièrement confrontées à la présence de sous-marins russes, plus modernes, plus rapides et plus silencieux que leurs prédécesseurs. La guerre en Ukraine a eu, en effet, très peu d’impact sur les capacités de la flotte sous-­marine russe de la flotte du Nord ; elle est toujours intacte et très active. La France doit conserver sa liberté d’action en Atlantique, c’est une nécessité primordiale pour la dissuasion. La Marine est aussi présente en Afrique de l’Ouest avec la mission « Corymbe » depuis plus de quarante ans, de manière quasi permanente. La Marine nationale est très sollicitée dans la Manche, au côté des autres administrations, pour la sauvegarde de la vie humaine des migrants qui tentent de la traverser : c’est une mission complexe et très exigeante. Enfin, face aux trafics, la présence de la Marine devient plus critique : elle a déjà saisi plus de 40 tonnes de drogue en 2024, avec le soutien des alliés et des administrations de l’État. Un record, signe que le trafic explose. Et l’année n’est pas finie.

Les marines européennes s’engagent de plus en plus en Indopacifique, et une FREMM a récemment été déployée pour la première fois durant un exercice« RIMPAC ». Faut-il accroître, y compris « à demeure », notre présence dans le Pacifique ?

Pourquoi les pays européens sont-ils davantage présents dans l’Indopacifique ? Les enjeux économiques, technologiques, financiers, humains sont fondamentalement interconnectés et mondiaux. Le cœur de la croissance mondiale est en Asie. Et ces enjeux de prospérité et de sécurité sont liés au monde maritime. Si les câbles sous-marins qui relient l’Europe à l’Asie sont coupés en mer Rouge, par accident ou par agression volontaire, quel impact cela aurait-il sur les communications pour les pays riverains, ou pour les continents plus lointains ? Quel impact des tensions en mer Rouge auraient-elles sur les échanges commerciaux au Moyen-Orient, mais aussi sur les ports européens ? Le trafic commercial au cap de Bonne Espérance, au sud de l’Afrique, depuis l’Asie et le Moyen-Orient, a bondi de 60 %. Cela impose aux ports d’arrivée, en Europe ou en Afrique du Nord, une réorganisation de leur logistique. Les nations européennes prennent donc leurs responsabilités en engageant leurs forces navales dans la protection du commerce et de la liberté de navigation, en particulier au sein de l’opération « Aspides ». Plus à l’est, la pression des garde-­côtes chinois sur les garde-­côtes philippins en mer de Chine est préoccupante. La Marine française doit garder ses accès ouverts en y développant ses partenariats. Elle doit également saisir l’évolution des enjeux, les anticiper, et mieux connaître cette zone maritime, avec ses spécificités, son environnement propre et ses acteurs. Rien ne remplace une présence régulière auprès de nos partenaires et de nos alliés. C’est le sens du déploiement de nos frégates dans cette région, notamment celui de la FREMM Bretagne jusqu’au Japon. Elle a notamment participé à l’exercice « RIMPAC » et a été intégrée au groupe aéronaval italien Cavour.

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