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Drones navals ukrainiens : une nouvelle ère de la guerre maritime

Jusqu’en février 2022, la marine ukrainienne se composait essentiellement de navires de surface de l’ère soviétique et d’une partie de l’infrastructure terrestre héritée à la fin des années 1990, lorsque Kyiv et Moscou se sont partagé l’ancienne flotte soviétique de la mer Noire. Les marines des deux pays étaient basées dans le principal port historique de la péninsule, Sébastopol, qui a été occupé par la Russie en 2014. En réalité, cela signifie que l’Ukraine disposait d’une marine extrêmement faible, incapable de résister à la Russie lors de l’invasion à grande échelle en 2022.

Les choses semblent très différentes en 2024. En effet, selon l’état-major général, en deux ans et demi de guerre, l’Ukraine a mis hors d’état de nuire un tiers de la marine russe, endommageant ou détruisant 24 navires et un sous-marin, pour une valeur de quatre milliards de dollars. En aout 2024, le reste de la flotte russe de la mer Noire s’est replié à Novorossiisk pour préserver ce qui lui restait d’équipement. La défaite navale de la Russie face à un pays qui ne possède même pas de flotte est devenue un cas d’école pour les écoles de marine, ce qui soulève des questions sur les priorités d’investissement dans la marine pour les gouvernements et les armées de toute l’Europe.

L’Ukraine à l’initiative dans la nouvelle guerre navale

La guerre de la Russie contre l’Ukraine met à l’épreuve un nouvel axiome : l’avenir de la guerre navale repose sur des systèmes intelligents sans pilote, que l’Ukraine est en train de développer rapidement. Si les véhicules maritimes sans pilote (UMV) ne sont pas nouveaux, l’invasion de la Russie a catalysé leur adoption (1). L’Ukraine a démontré qu’une petite marine peut utiliser des UMV pour contrer et mettre hors d’état de nuire une force conventionnelle beaucoup plus importante. Ces systèmes posent également des problèmes aux marines de premier rang, en particulier dans des régions comme le Golfe, où les UMV pourraient servir de torpilles flottantes ou submerger les défenses existantes par des attaques en essaim, mettant ainsi en danger les navires militaires et commerciaux (2). Sur les 134 types de drones maritimes existant dans le monde, 43 sont conçus pour la patrouille, 27 pour un usage général, 18 pour la lutte contre les mines et 10 pour la reconnaissance. Parmi ceux-ci, 71 % sont des drones de surface, tandis que 29 % opèrent sous l’eau, le plus souvent pour le déminage et non comme des UMV (3). Les drones navals ukrainiens sont les seuls à avoir prouvé leur efficacité dans une guerre maritime à grande échelle en tant qu’armes d’attaque.

Les services de sécurité ukrainiens ont une légende selon laquelle les drones ukrainiens sont des prototypes des technologies cosaques : le drone ukrainien Sea Baby se déplace rapidement à la surface de l’eau, ressemblant à un bateau cosaque, la Chaika (« la mouette »). Bateau à rames et à voile utilisé par les Cosaques de Zaporijia aux XVIet XVIIe siècles, il pouvait mesurer jusqu’à 22 mètres de long et 4 mètres de large. Pour améliorer sa stabilité, des fagots de roseaux étaient fixés sur les côtés. Il était relativement petit par rapport aux navires ottomans, par exemple, ce qui lui permettait de mener efficacement des missions de combat en manœuvrant entre les navires ennemis. Les drones maritimes ukrainiens modernes suivent cette logique avec une efficacité renforcée par la technologie.

Typologie des drones maritimes en Ukraine

La plupart des destructions de la flotte russe en mer Noire ont été infligées par des drones kamikazes ukrainiens, conçus pour faire exploser les navires ennemis et d’autres objets de surface. Il s’agit des seuls systèmes de ce type au monde qui ont été testés avec succès lors d’une guerre en mer. Ces drones explosent au moment de l’impact avec un navire ennemi et causent des dommages ou des destructions. Les drones ukrainiens ont une conception assez simple qui leur permet d’être fabriqués à faible cout (environ 250 000 dollars) par de petites entreprises dans des conditions de guerre (4). Depuis 2022, l’Ukraine a développé trois générations de drones maritimes.

Génération I

Équipés d’un moteur à canon à eau et d’un système de contrôle Starlink, les drones navals de la génération I peuvent atteindre une vitesse de 70 miles par heure (112 km/h) et sont dotés d’un système d’amorçage de l’ogive. L’explosif, installé au milieu de la coque, est activé par deux fusées d’impact situées à l’avant. Ces dernières ont probablement été prélevées sur des munitions d’avions soviétiques, ce qui laisse supposer l’utilisation de bombes d’avion FAB-100 ou FAB-250 comme ogives. Par ailleurs, un tout nouveau corps métallique, vraisemblablement en aluminium, a été fabriqué pour le drone marin afin de remplacer le corps original en fibre de verre utilisé pour équiper le jet-ski. En octobre 2022, des drones de la Gen I ont attaqué des navires russes à Sébastopol, endommageant la frégate Amiral Makarov et le dragueur de mines Ivan Goloubets.

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