Après quatorze années au pouvoir, le Parti conservateur a été sanctionné par les électeurs pour son incapacité à proposer une nouvelle approche des défis économiques et sociaux auxquels le Royaume-Uni fait face depuis plusieurs années. Charge à présent au gouvernement travailliste de Keir Starmer de trouver les ressources pour répondre aux difficultés d’un pays en crise.
Sans surprise, le Parti travailliste dirigé par Keir Starmer a remporté les élections législatives du 4 juillet 2024. Avec 411 députés [sur 650], la victoire est nette. Toutefois, ce raz-de-marée travailliste à la Chambre des Communes n’en a pas tout à fait été un dans les urnes, puisque le nouveau parti majoritaire n’a en réalité amélioré son score de 2019 que de 1,6 point en pourcentage de votants. En revanche, la défaite des conservateurs est sans appel ; ils n’ont obtenu que 121 sièges, contre 365 en 2019, et ont perdu presque 20 points dans les urnes. La désaffection de la population à l’égard du Parti conservateur était telle que les sondages prédisaient la victoire des travaillistes depuis plusieurs mois, si bien que l’annonce de l’organisation d’élections anticipées a été suivie par une campagne relativement atone où peu de sujets permettaient de distinguer les programmes des deux principaux partis. Une seule chose était claire : le désir de mettre un terme à 14 ans de gouvernement conservateur. Ces années ont été marquées d’abord par une politique d’austérité économique, puis par la sortie de l’Union européenne (UE) et ses conséquences. Les conservateurs ont également dû faire face à la pandémie de Covid-19, dont la gestion a été contestée, surtout après qu’a éclaté le scandale lié aux rassemblements festifs illégaux organisés par des membres du gouvernement, dont le Premier ministre Boris Johnson, contribuant à sa démission. Les deux Premiers ministres qui lui ont succédé, Liz Truss et Rishi Sunak, ne sont pas parvenus à reconquérir la confiance des électeurs, d’autant que le très court mandat de Truss a entamé la réputation de sérieux économique des conservateurs, que Sunak n’est pas parvenu à rétablir. D’autres facteurs exogènes — notamment les répercussions de la guerre en Ukraine — ont pesé sur la situation économique du pays. Mais c’est bien l’incapacité du Parti conservateur à proposer une nouvelle approche des défis économiques et sociaux auquel le pays fait face depuis plusieurs années qui a été sanctionnée par les électeurs.
Dans ce contexte, la tâche du nouveau gouvernement travailliste est ardue. La dernière fois que les travaillistes ont succédé à un gouvernement conservateur, c’était en 1997. L’espoir suscité par l’arrivée de Tony Blair à Downing Street n’était alors pas terni par un contexte de crises à répétition. La situation dont hérite le gouvernement Starmer est bien différente, et les premières semaines de la mandature ont montré l’ampleur des difficultés économiques et sociales auxquelles il devra faire face.
Relancer la croissance économique : première mission du gouvernement
Le « Discours du roi » du 17 juillet 2024 a détaillé en quarante mesures les cinq « missions » prioritaires du nouveau gouvernement, au premier rang desquelles figure la relance de la croissance économique (1). En effet, le Royaume-Uni est en quasi-stagnation depuis le début des années 2010, les salaires (corrigés de l’inflation) n’ayant augmenté que de 6 % sur la période. De plus, il s’agit de l’État du G7 ayant connu l’une des reprises les plus lentes après la pandémie de Covid-19 — ce qui s’explique partiellement par la vulnérabilité du pays à la hausse des prix de l’énergie suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. En 2023, la croissance n’était que de 0,1 % et le PIB par habitant a baissé de 0,7 %. L’année 2024 a laissé entrevoir un rebond : l’inflation, qui avait dépassé les 9 % fin 2022, est retombée à 3 % en aout, atteignant presque l’objectif de 2 % fixé par la Banque d’Angleterre ; et le taux de la livre sterling est désormais revenu à un niveau comparable à celui d’avant le Brexit, bien qu’elle reste plus faible que le dollar. Quant au FTSE 100, l’indice boursier des cent entreprises principales cotées à la bourse de Londres, il a progressé de 5,8 % cette année, c’est-à-dire plus qu’au cours des quatre années précédentes (2). Ainsi, l’objectif de Keir Starmer, et de la chancelière de l’Échiquier [ministre des Finances] Rachel Reeves, est d’inscrire cette nouvelle tendance dans la durée. Pour cela, les travaillistes misent principalement sur la libéralisation des permis de construire. Il s’agit à la fois de trouver une solution à la crise du logement, et de mener à bien des projets d’infrastructure, comme la construction d’éoliennes terrestres, autorisée dès le lendemain des élections. On peut toutefois s’interroger sur la capacité du pays à mobiliser la main-d’œuvre nécessaire à ces projets de construction, dans la mesure où le taux de chômage se situe aux alentours de 4 % et où le recours à l’immigration est impopulaire. Néanmoins, si ces projets voient le jour, on peut s’attendre à une stimulation de la croissance, mais seulement à moyen ou long terme. À plus court terme, le risque de voir l’inflation persister demeure, ce qui obligerait la Banque d’Angleterre à maintenir des taux d’intérêts élevés, pesant sur le prix des actifs et sur l’économie.