Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

L’armée israélienne à l’épreuve du temps : enjeux et défis d’un conflit de longue durée

Face à une situation particulièrement complexe et dangereuse pour Israël, vient l’interrogation sur la capacité réelle dont il dispose pour mener un conflit prolongé. Peut-il encore soutenir un effort militaire aussi intense sur plusieurs théâtres d’opérations sans compromettre son modèle stratégique ? Ses forces armées, malgré leur supériorité technologique affichée et leur préparation revendiquée pour les conflits asymétriques, peuvent-elles faire face à une guerre d’usure imposée par un ensemble d’adversaires aux stratégies diversifiées et pas nécessairement coordonnées ?

Le 7 octobre 2023, le Hamas lance depuis Gaza une attaque massive et multidimensionnelle contre Israël — la plus meurtrière qu’il ait connu depuis sa création en 1948, avec environ 1200 morts et 251 personnes capturées. Outre le bilan humain, cet épisode marque également un point de non-retour pour la défense israélienne. Avec 3000 roquettes tirées en une journée, des incursions terrestres inédites (par les airs avec des parapentes motorisés, par la terre en franchissant les barrières de sécurité avec des explosifs et par la mer avec des commandos), une réactivité israélienne jugée a posteriori particulièrement lente, de flagrantes failles dans l’appareil sécuritaire de l’État hébreu ont fait surface. 

Pis encore, Tel Aviv s’est depuis enlisé dans un conflit à plusieurs fronts, menaçant d’une part son modèle stratégique basé sur la supériorité technologique, la dissuasion (nucléaire) et l’anticipation, et d’autre part sa réputation d’armée la plus puissante du Moyen-Orient, suréquipée face à des voisins aux armements considérés comme obsolètes et peu menaçants. Tsahal mène une guerre de haute intensité dans la bande de Gaza, frôlant la destruction complète de cette zone d’un point de vue matériel, avec plus de 30 000 raids aériens et un contrôle terrestre prolongé visant à défaire le Hamas. Israël lutte aussi contre le Hezbollah libanais, tant sur son propre territoire que dans le Sud-Liban, ce dernier ayant tiré des milliers de roquettes et drones-suicides, forçant l’évacuation massive de localités israéliennes. En mer Rouge encore, les Houthis ciblent des navires qu’ils estiment affiliés à Israël et tentent de contrôler les flux maritimes. À l’est enfin, Israël voit l’Iran enfin répliquer par la force armée aux attaques israéliennes sur son territoire, à l’image de l’attaque de drones iraniens dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, après les frappes israéliennes du 1er avril sur le consulat iranien de Damas (côté iranien, l’opération est appelée « Promesse honnête », va’deh-yé sâdeq en persan).

Sur le plan interne encore, ces crises et conflits attisent des tensions sociopolitiques déjà lourdes, mêlant contestations du gouvernement Netanyahou, interrogation sur ses objectifs stratégiques réels (récupération des Israéliens détenus par le Hamas ou destruction de ce dernier ?) et critiques de la réforme institutionnelle lancée par ledit gouvernement pour réduire les pouvoirs de contrôle de la Cour suprême. Du fait de ce projet de réforme, c’est non seulement une fracture de la société et de la cohésion nationale qui est engendrée, mais plus concrètement un risque pour la solidité de l’armée israélienne : des milliers de réservistes, notamment dans l’armée de l’air et dans les unités cybernétiques, menacent de ne plus servir. Par ailleurs, la mobilisation massive de plus de 360 000 réservistes — une première depuis la guerre du Kippour, un demi-siècle plus tôt — pressurise l’économie israélienne, qui a vu son PIB reculer de 20 % au quatrième trimestre 2023, sans évoquer la baisse drastique des investissements étrangers.

État de la défense israélienne : un appareil militaire sous pression

Depuis le 7 octobre 2023, la défense israélienne est mise à rude épreuve, contrainte de multiplier les fronts et les opérations. D’inattendues vulnérabilités sont apparues dans son système de sécurité, imposant une réévaluation stratégique, tant la pression continue sur plusieurs fronts : à Gaza et en Cisjordanie, mais aussi en Iran et au Liban. Le budget israélien de défense, l’un des plus élevés au monde avec environ 30 milliards de dollars en 2024 (soit environ 5 % de son PIB), a été rehaussé pour financer l’effort de guerre. C’est une augmentation de quasiment 50 % (environ 55 milliards de shekels, soit 14 milliards de dollars) qui a été décidée en 2024, sans compter 14 autres milliards de dollars d’aide américaine comportant entre autres des livraisons accélérées de munitions et de systèmes d’interception. Malgré ce budget de guerre, c’est environ 250 millions de dollars qui sont quotidiennement consommés par Israël pour ce conflit, éreintant encore plus son économie déjà fragilisée par le ralentissement de sa croissance et la baisse des investissements directs étrangers. L’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant avait d’ailleurs évoqué que le prolongement de la guerre pourrait nécessiter des coupes budgétaires supplémentaires.

L’armée israélienne est par ailleurs autant mobilisée qu’elle subit une tension croissante. Tsahal dispose d’environ 169 500 soldats actifs et 465 000 réservistes, en faisant donc l’une des armées les plus militarisées du monde par rapport à sa population. Après l’attaque du Hamas, Israël a déployé près de 360 000 de ses réservistes, une mobilisation record ajoutant à la pression économique et sociale du pays. Après plus d’un an et demi de conflit enfin, la fatigue morale et physique se fait sentir chez les troupes israéliennes, particulièrement chez les unités sur le front, alors que les délais de rotation sont allongés, réduisant d’autant plus leur moral et leur efficacité opérationnelle. Le Dôme de fer, système israélien de défense antimissile ayant intercepté plus de 90 % des roquettes tirées depuis Gaza, a également été continuellement sollicité par l’intensité des attaques. Face aux frappes avérées et aux menaces balistiques grandissantes, Israël a également déployé la Fronde de David (système d’interception de missiles et roquettes, élaboré en partenariat avec l’entreprise américaine Raytheon) pour intercepter des missiles de plus longue portée, à laquelle se rajoute le système Arrow 3 contre les missiles balistiques iraniens, parachevant sa défense aérienne multicouches. 

0
Votre panier