L’importance des zones maritimes, combinée à la concentration persistante des enjeux géopolitiques autour de la zone indopacifique et, plus spécifiquement encore, de la mer de Chine, pourrait à court terme entraîner le retour en force d’un appareil dont les heures de gloire appartiennent à la première partie du XXe siècle : l’hydravion.
L’hydravion est presque aussi vieux que l’aviation. Il est même aux origines de l’aéronavale, quand les puissances qui s’apprêtaient à s’engager dans les fracas du premier conflit mondial imaginaient déjà son potentiel militaire. Sa primauté sur le dirigeable est d’ailleurs consacrée dans la doctrine navale française le 1er juillet 1910 quand la commission « Le Pord » rend ses conclusions au vice-amiral Auguste Boué de Lapeyrère, ministre de la Marine. La marine française entrera ainsi en guerre en 1914 avec 27 pilotes et 14 hydravions opérationnels (1). Quatre ans plus tard, aucune force navale crédible ne sera plus jamais envisagée sans la présence de l’arme aérienne. Et si l’hydravion reste alors cantonné à des missions plutôt expérimentales, la montée en gamme massive qui s’opère dans l’entre-deux-guerres, avec notamment l’arrivée d’appareils bien plus robustes et endurants, comme en 1936 le mythique bimoteur Consolidated PBY Catalina américain, ouvre la voie à des spécialisations qui feront largement leurs preuves durant la Seconde Guerre mondiale : patrouille maritime, reconnaissance et escorte, lutte antinavire et anti-sous-marine, jusqu’au transport et sauvetage en mer. Mais dans les années 1950, alors qu’ils ont largement gagné en taille comme en masse, les hydravions ne peuvent rivaliser avec le développement d’avions aux systèmes embarqués toujours plus modernes, qui nécessitent d’être opérés depuis l’intérieur des terres. Le déclin sera lent, mais fatal à la filière.
Mise en pause du projet de C‑130 amphibie pour l’USSOCOM
Retour en 2024, où en raison de l’intérêt vital que représente le théâtre du Pacifique pour les États-Unis d’Amérique, l’hydravion est de nouveau envisagé par le Pentagone. Ce renouveau, appelons-le ainsi, peut être décomposé en deux temps.
Une première réflexion outre-Atlantique va se dérouler entre mai 2021 et mai 2024, période durant laquelle le commandement des opérations spéciales américain, l’USSOCOM, au sortir de deux décennies de guerre contre « le terrorisme », va repenser son approche des différents milieux. S’agissant des opérations aéronavales, et plus précisément aéroamphibies (action de la mer vers la terre), cela passera par l’annonce en mai 2021 de l’exploration d’un concept de MC‑130J Commando II de Lockheed Martin converti en hydravion, le projet MAC, pour « MC‑130J Amphibious Capability ». La genèse (2) de ce projet, qui n’est pas un programme, provient bien entendu de l’antagonisme qui se développe avec la Chine. Or les forces spéciales américaines annoncent clairement en 2021 leur volonté de mettre leur adversaire face à des « dilemmes stratégiques ». Ou autrement dit, l’armée américaine veut bénéficier de suffisamment de souplesse pour devenir imprévisible, ce qui passe dans le cas des opérations amphibies sur le théâtre du Pacifique par son émancipation des structures en dur que sont les bases aériennes et les aérodromes, ou même les pistes sommaires.
Pour l’Air Force Special Operations Command (AFSOC), chargé du projet avec la DARPA, le MC‑130 Super Hercules est un appareil emblématique aux caractéristiques qui font de lui un véritable couteau suisse, maîtrisé et robuste, dont le rayon d’action convient parfaitement à la zone d’opérations visée. Toutefois, le choix a priori frugal d’adapter au milieu maritime une plateforme éprouvée comme le Super Hercules – qui deviendrait ainsi le « Sea‑130 » ! – va s’avérer finalement plus générateur de questions que de réponses : comment embarquer ou débarquer de petites embarcations depuis la rampe arrière d’un appareil si haut perché sur ses flotteurs ? Quel serait le niveau de complexité d’intégration pour le kit de flottaison ? Quelle résistance des moteurs dans un environnement si corrosif ? Dès 2021, l’AFSOC reconnaît ainsi que la tâche constitue un défi « en termes de physique et d’ingénierie », mais entend s’appuyer sur un écosystème industriel d’innovateurs afin d’obtenir des résultats au plus tard en 2025.
C’est un échec, puisqu’en mai 2024, le projet est officiellement mis en pause, après qu’une nouvelle enveloppe de 11,5 millions de dollars lui a été refusée. Seules des simulations numériques auront pu être réalisées, sur la base de l’architecture visible sur les présentations graphiques diffusées publiquement. Cependant, le projet MAC aura tout de même permis à l’AFSOC d’avancer sur la définition de ses besoins.