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Pour le meilleur ou pour le pire : en matière d’armement, l’UE s’active

Un empilement d’acronymes

Un mois après la publication de la Stratégie EDIS, le journal Politico titrait : « L’UE déploie un arsenal d’acronymes de défense pour combattre Poutine ». Allusion cruelle, mais drôle, au goût de l’UE pour les organigrammes et les abréviations, en lieu et place de l’action. Toutefois, cette fois-ci, certains de ces acronymes cachent de véritables changements d’approche, et la bataille porte moins sur l’Ukraine que sur la future direction de l’Union. Le trio de départ (FEP, Facilité européenne pour la paix, reconvertie en fonds pour rembourser les livraisons de matériels de guerre, l’EDIRPA et l’ASAP) sert surtout de matrice pour la suite. La Stratégie précise : « Il est temps de passer des réponses d’urgence à la préparation structurelle de l’UE en matière de défense. »

Comment procéder ? Du côté de la demande, l’EDIRPA a déjà établi le principe d’un fonds consacré à l’achat en commun de matériel militaire, financé par le budget communautaire (avec une enveloppe de 300 millions d’euros jusqu’en 2025). Avec l’EDIP, la Commission propose « d’étendre le domaine d’intervention de l’EDIRPA » afin que l’acquisition collaborative « devienne progressivement la norme » et passe du niveau d’aujourd’hui, à savoir 18 % du total des dépenses d’équipements, à 40 % d’ici à 2030. Qui plus est, Bruxelles prend exemple sur le dispositif FMS (Foreign Military Sales) américain pour « créer un mécanisme européen de ventes militaires » (EU FMS). Le commissaire Thierry Breton explique les avantages du modèle américain : « Lorsque le gouvernement passe une commande, il réserve également un pourcentage en stocks, pour donner plus de profondeur à son industrie de défense et avoir la capacité de fournir et vendre » à des tiers. Il s’agit surtout d’améliorer la disponibilité ou, dit-il, la « defense readiness ».

Du côté de l’offre, l’ASAP a posé les bases d’une intervention, sur fonds communautaires, pour soutenir la montée en cadence de la production dans l’industrie de défense. L’enveloppe de 500 millions d’euros est partagée entre 31 projets sélectionnés dans 15 pays. L’EDIP « propose d’étendre la logique d’intervention du règlement ASAP, en ne la limitant pas aux munitions et missiles ; et de la compléter par le développement d’installations mobilisables en permanence et l’éventuelle réaffectation de lignes de production civiles ». S’y ajoute le FAST (Fonds pour l’accélération de la transformation des chaînes d’approvisionnement) censé faciliter l’accès au financement des PME, ainsi qu’un nouveau cadre juridique, la SEAP (Structure pour programmes d’armement européens), et une nouvelle enceinte de pilotage, le Conseil de préparation industrielle pour la défense, réunissant la Commission, le haut représentant/chef de l’AED et les États.

L’EDIP prendra donc le relais à la fois de l’EDIRPA et de l’ASAP, en les étendant et en les généralisant, avec une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur trois ans. Un montant particulièrement modeste au regard des objectifs, même si « toutes les possibilités de mobilisation de fonds » seront étudiées : du recours aux intérêts des avoirs russes gelés et de l’exonération de TVA jusqu’à l’idée d’un grand emprunt commun. Les négociations pour l’adoption de l’EDIP s’annoncent difficiles, mais l’ASAP et l’EDIRPA montrent que le ver est déjà dans le fruit. L’idée d’un rôle accru de la Commission en matière d’armement est acquise et, à partir de là, les budgets alloués seront réduits ou gonflés en fonction de la volonté politique. Pour l’heure, les États émettent de sérieuses réserves, de plusieurs types, par rapport aux initiatives.

Autonomie en trompe-l’œil

De tout temps, la question de la participation d’alliés non membres de l’UE aux projets de défense européenne fut la principale pierre d’achoppement des discussions entre États membres. Qu’on la désigne par « accès de pays tiers » ou « critères d’éligibilité », c’est toujours la même problématique et elle concerne, en premier lieu, Américains et Britanniques. Cette fois-ci, la Commission assume une ligne clairement « autonomiste ». Elle déplore le fait que 78 % des achats d’armes depuis le début de la guerre en Ukraine ont été réalisés auprès de tiers (l’Amérique représente à elle seule 63 %) et invite les États membres à « faire en sorte qu’au moins 50 % de leurs investissements en matière de défense soient réalisés au sein de l’UE d’ici à 2030, et 60 % d’ici à 2035 ». La Commission observe que « la dépendance excessive à l’égard des approvisionnements des pays tiers nuit à la liberté d’action en cas de crise ». Qui l’eût cru ?

Les partenaires, eux, n’en reviennent pas. Londres regrette que les initiatives de l’UE en matière de défense « ne permettent pas de participation significative des alliés OTAN non membres de l’UE » et s’offusque de ces règles inhabituellement « restrictives ». La Chambre de commerce américaine se plaint qu’il n’y ait « pas suffisamment de discussion substantielle sur la manière dont l’UE envisage la collaboration industrielle avec ses proches alliés ». En réalité, les États membres restent profondément divisés. Les uns dénoncent l’absurdité de l’idée même de financer, sur fonds européens, des concurrents étrangers au lieu de renforcer notre propre BITD. Les autres font valoir le double argument de l’urgence et des économies. Les initiatives actuelles laissent les deux camps sur leur faim. Pour les premiers, il n’y a pas de garanties assez solides : les partisans de l’achat sur étagère, majoritaires, pourront exploiter les exceptions contenues dans les dispositions. Pour les seconds, le principe d’autonomie risque d’aliéner les protecteurs-partenaires et de fragiliser ainsi leur précieux parapluie. En fin de compte, les deux types de réserves s’additionnent pour freiner les poussées fédéralistes de la Commission. Aucun des deux camps ne sera prêt à abandonner le contrôle national tant qu’il n’obtiendra pas entière satisfaction.

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