Après presque un an et demi de guerre entre Israël et le Hamas, que reste-t-il des capacités militaires de ce dernier ? Est-ce qu’Israël a durablement réduit la menace ?
Le degré de dévastation générale dans la bande de Gaza — plus de 60 % de l’ensemble du bâti y est démoli — reflète probablement les pertes extrêmement lourdes du Hamas au niveau des ressources matérielles de sa composante armée : infrastructures (notamment souterraines), arsenal de projectiles, armement plus léger, véhicules, équipement informatique, etc. Le tarissement progressif des tirs de roquettes et de missiles (initialement estimés à 15 000 pièces) au fil des seize derniers mois — à l’exception d’occurrences sporadiques et symboliques — en est l’indicateur le plus révélateur à mon sens. À ce niveau-ci, les brigades d’Izz al-Din al-Qassam ont été drastiquement affaiblies et sont vouées à peiner pendant plusieurs années avant de représenter à nouveau une forme de menace réelle pour la périphérie de la bande.
Au niveau des ressources humaines, on peut en revanche voir les choses de deux manières très différentes. Notons tout d’abord que les seuls chiffres disponibles à ce sujet sont ceux rendus publics par l’armée israélienne (qui opère un blocus de l’information quasi total), notamment relayés par l’Institute for National Security Studies (1). Sur base de ceux-ci, quelque 17 000 « terroristes » — une allusion claire aux combattants du Hamas et du Djihad islamique — auraient été éliminés à Gaza depuis le début de la guerre en un peu plus de 500 jours. A priori, ce chiffre peut paraitre énorme puisque cela reviendrait à affirmer que ces deux factions miliciennes auraient perdu environ la moitié de leurs forces vives (puisque respectivement estimées à un maximum de 30 000 et 6000 hommes avant la guerre). Les principaux leaders du Hamas — Yahya Sinwar, Mohamed Deif, Marwan Issa, Ismaël Haniyeh, etc. — ont en outre été successivement assassinés.
Mais une variable déterminante intervient dans l’appréciation de cette équation des effectifs : celle du « turn-over » au sein des rangs. En effet, le contexte horrifique (d’innombrables familles endeuillées, en situation de précarité extrême et face à une économie gazaouie pulvérisée) assure mécaniquement la génération « résistante » de demain au sein d’une jeunesse qui a de moins en moins à perdre. Chaque combattant tué est ainsi rapidement remplacé par une jeune recrue, moins expérimentée mais davantage enragée. Tsahal elle-même semble admettre cette dynamique, puisqu’elle affirme avoir tué 8 commandants de brigade, 30 commandants de bataillon, et environ 165 commandants de compagnie au sein des brigades Qassam. Or, celles-ci ne sont structurellement composées que de 5 brigades, 24 bataillons et 140 compagnies… Les affrontements pourraient donc encore durer très longtemps si la nouvelle logique devait consister à tuer les remplaçants des remplaçants (et ainsi de suite).
Si l’objectif initial d’Israël était d’anéantir le Hamas, cela semble néanmoins peu concevable. Quel est l’avenir possible pour le Hamas dans le contexte actuel et comment compte-t-il continuer ses actions ou se réorganiser ?
Le gouvernement israélien s’entête paradoxalement à vouloir « détruire » le Hamas par des moyens quasi-exclusivement militaires, alors que le mouvement en question est un phénomène sociétal aux nombreuses facettes et qui déborde largement des contours de sa seule composante armée. La stratégie, manifestement bancale, semble donc vouée à un échec partiel, surtout vis-à-vis des dimensions sociales et politiques du mouvement palestinien. L’avenir du Hamas me semble assuré sur le plan social à moyen terme, étant donné son enracinement idéologique et les loyautés qui lui sont manifestes dans les territoires palestiniens (et au-delà). Les choses sont toutefois plus incertaines par rapport à son avenir politique à court terme à Gaza, puisque c’est à ce niveau-là que se situe aussi l’impasse structurelle des négociations : les deux camps s’accrochent à leur obsession respective de vouloir créer une nouvelle réalité à Gaza, qui, tantôt empêcherait, tantôt permettrait, la récupération du pouvoir par le Hamas.
Ce bras de fer se poursuit dans une configuration où le Hamas reste un rival structurel pour le Fatah à l’échelle palestinienne, et un acteur gênant pour de nombreux gouvernements arabes influents sur le plan régional (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, etc.). Le mouvement a pu temporairement voir le renversement du régime de Bachar el-Assad en Syrie comme une demie-bonne nouvelle en décembre 2024, mais l’espoir de contagion révolutionnaire vers l’Égypte voisine ne s’est pas concrétisé, et Ahmed al-Charaa a trop de casseroles sur le feu pour se préoccuper de Gaza. Finalement, au sein de « l’axe de la résistance » aligné sur Téhéran, seuls les Houthis ont continué d’afficher leur solidarité à coup de missiles depuis le Yémen, mais Donald Trump vient d’initier une campagne américaine de bombardements qui risque d’infliger de lourdes pertes à cet acteur lointain et aux moyens limités. Pour sa part, la République islamique d’Iran n’est techniquement plus capable de lui faire parvenir son aide matérielle, et doit sa vulnérabilité actuelle aux conséquences de l’aventurisme de Yahya Sinwar [chef du Hamas assassiné à Rafah en octobre 2024]… Pour toutes ces raisons, les perspectives pour le Hamas me semblent bien ternes.