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Corée du Sud : quelle stratégie indo-pacifique ?

En effet, l’administration Yoon a abandonné la NSP et élaboré une nouvelle stratégie indo-pacifique coréenne, visant notamment à établir ultérieurement des liens avec le Quadrilateral security dialogue (Quad) (11). Depuis son entrée en fonction en mai 2022, le président Yoon a promis d’élargir l’alliance entre les États-Unis et la République de Corée ; l’établissement d’un lien avec la stratégie indo-pacifique des États-Unis était considéré comme l’un des piliers de ce projet. Les concepts mobilisés ressemblent beaucoup au discours américain (12). La nouvelle administration a publié dès le début de son mandat sa stratégie indo-pacifique dans laquelle figurent la nécessité de renforcer les liens avec Washington et la primauté du droit, les normes internationales, les droits humains et la liberté — toutes idées proches du concept américain et japonais de free and open Indo-Pacific (13). Cet engagement a été plutôt bien accueilli par les partenaires de la Corée, notamment le Japon, qui s’est rapproché davantage à travers la coopération trilatérale entre les États-Unis, la Corée et le Japon (14). Les pays de l’ASEAN, tels que le Vietnam ou l’Indonésie, jouent également un rôle de plus en plus important dans le commerce extérieur de la Corée et cherchent à maintenir un équilibre face à l’émergence de la Chine dans la région (15).

Devenir un « État pivot mondial »

L’objectif de la Corée dans le cadre de cette stratégie est de devenir un « État pivot mondial » (16). Le ministère des Affaires étrangères de la Corée met en avant trois mots-clés pour exprimer la vision de cette stratégie : « liberté, paix et prospérité » (17). Par rapport à la NSP, un seul mot-clé a été modifié : la « liberté », qui reflète une convergence avec la stratégie américaine. Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement coréen a défini neuf axes stratégiques, regroupés autour de trois thèmes principaux : la sécurité, la gouvernance et la coopération. En particulier, la stratégie met un fort accent sur le concept de sécurité : quatre des neuf axes (3, 4, 5 et 7) traitent explicitement du renforcement de la coopération en matière de sécurité dans divers domaines, notamment militaire, économique et énergétique (18). Par exemple, la stratégie indo-pacifique coréenne s’appuie en partie sur le concept de sécurité maritime, en insistant sur l’importance des lignes de communication maritimes (Sea lines of communication, SLOC), telles que celles de la mer de Chine méridionale, essentielles au commerce international de la Corée (19). En parallèle, la stratégie accorde une grande importance aux règles et aux normes internationales, ainsi qu’à la coopération inclusive, en réitérant des expressions comme « partenaires partageant des valeurs communes » ou « like-minded partners » (20). Dans ce cadre, le document semble implicitement diviser les acteurs en deux catégories : « nous » et « les autres ». La Corée met en avant la sécurité collective dans la région et un partenariat inclusif, mais en insistant sur des règles et normes institutionnalisées qui unissent les pays partageant les mêmes valeurs. La Corée définit la région indo-pacifique comme englobant le Pacifique Nord, l’Asie du Sud-Est et l’ASEAN, l’Asie du Sud, l’Océanie, les côtes africaines bordant l’océan Indien ainsi que l’Europe et l’Amérique latine (21). La Chine est notamment mentionnée dans la stratégie du Pacifique Nord comme un « partenaire clé pour atteindre la prospérité et la paix dans la région indo-pacifique [traduction libre] » (22). La Corée exprime son intention d’engager avec la Chine une relation « plus concrète et mature », fondée sur le respect mutuel, la réciprocité, et guidée par les normes et règles internationales (23).

Une stratégie à l’épreuve de la puissance chinoise et de l’incertitude politique ?

Si l’administration Yoon a publié une définition de sa position stratégique s’inscrivant dans le cadre du concept d’Indo-Pacifique et a pris des mesures tangibles pour aligner plus étroitement sa stratégie régionale émergente sur celle des États-Unis, la problématique géostratégique globale de la Corée du Sud en Asie du Nord-Est reste inchangée. En raison de la proximité géographique de la Chine et de son importance géostratégique, notamment en ce qui concerne la dépendance économique de Séoul à l’égard de Pékin, la Chine demeure un facteur omniprésent et un grand défi pour le calcul stratégique de Séoul. Bien que l’administration Yoon se soit engagée à adopter une ligne plus dure à l’égard de la Chine, le pays ne dispose toujours pas d’une stratégie globale sur la manière de traiter avec ce voisin. De fait, l’expression de la stratégie coréenne demeure prudente : elle ne mentionne guère la Chine et ne la dépeint pas comme une source potentielle de risque, en d’autres termes la stratégie « ne vise ni n’exclut aucun État » (24). De plus, le rapprochement très net de la Corée du Nord avec la Russie à l’été 2024, qui a semble-t-il été décidé sans l’aval de la Chine, vient compliquer la définition d’une politique claire envers Pyongyang.

À propos de l'auteur

Frédéric Lasserre

Directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques (CQEG) et titulaire de la Chaire de recherche en études indo-pacifiques (CREIP).

À propos de l'auteur

Narae Lee

Doctorante en études internationales à l’Université Laval.

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