Voici le récit de mon voyage insolite : celui d’une jeune femme, Marine, partie faire le tour du monde à la voile pour s’éloigner de la France, et qui découvrit, au gré des escales, que cette dernière l’avait précédée partout.
Je pensais partir loin, quitter mon pays, larguer les amarres vers l’inconnu. Mon sac sur le dos, une carte du monde froissée en poche. Je m’étais promis de faire le tour du globe. Et pourtant, plus j’avançais, plus un constat remarquable s’imposait à moi : une même silhouette familière se dessinait à l’horizon, celle d’un territoire français.
La France revenait, camouflée sous les palmiers, nichée dans les ports tropicaux, son pavillon fièrement hissé sur des bâtiments officiels aux confins des océans. Avec ses 13 territoires ultramarins répartis sur trois océans, et face à une Europe communautaire qui compte 22 archipels (1) hors de ses frontières continentales, la France se distingue par une présence maritime inégalée, qui redéfinit notre rapport au monde. De la Polynésie aux Kerguelen, de Saint-Pierre-et-Miquelon à Mayotte, de la Nouvelle-Calédonie aux Antilles, je l’ai compris : la France n’est pas qu’un hexagone. Elle est un archipel.
À travers ce journal de bord, je vous propose de lever l’ancre avec moi et de découvrir, au fil des escales et des océans, comment ces territoires ultramarins façonnent une France aux dimensions planétaires : une puissance maritime ancrée aux quatre coins du monde et des océans Atlantique, Pacifique, Indien, Arctique et Antarctique.
La France et ses 31 voisins
En établissant les préparatifs de mon voyage, j’ai réalisé que, où que je trace ma route, la France serait là. J’allais naviguer d’un bout à l’autre d’un archipel français et rencontrer ses 31 voisins. Alexandre Pope écrivait que « la mer joint les régions qu’elle sépare ». Ainsi, la France ne saurait être réduite aux contours de son hexagone continental : elle est, avant tout, un archipel mondial, aux confins de plusieurs océans, riche de ses 13 territoires ultramarins qui dessinent une présence maritime planétaire. Grâce à eux, elle représente le deuxième plus vaste domaine maritime au monde : près de 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, soit 97 % de sa surface maritime. Sous la coque de mon voilier, bercée par les histoires mythiques de Bougainville, premier navigateur français à avoir fait le tour du monde par la mer, j’ai croisé des mondes invisibles, foisonnants de vie. Ces territoires d’outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française — en sachant que seulement 5 % des espèces sous-marines sont connues —, et près de 10 % des récifs coralliens de la planète. Des trésors fragiles, suspendus entre ciel et mer.
Je ne m’imaginais pas, au début de mon odyssée, que la France avait 31 voisins. Ceux-ci se situent donc aux quatre coins du globe, dans les Caraïbes, l’océan Indien et le Pacifique Sud. On oublie souvent que la France partage sa plus grande frontière terrestre avec le Brésil. La France n’est pas seulement un hexagone situé en Europe, mais un véritable archipel mondial, dont les rivages s’étendent bien au-delà de la métropole. Cette situation géographique unique confère à notre archipel une présence navale et économique dans nombre de zones stratégiques du globe. En traversant ces océans, j’ai pris pleinement conscience de l’étendue de ce territoire maritime, où chaque vague, chaque courant, semble relier un bout du monde à un autre, sous le pavillon tricolore.
Cap sur la Polynésie française et ses atolls
J’ai débuté mon périple là où la France embrasse le Pacifique : en Polynésie française, à 15 897 kilomètres de l’Hexagone. On mesure rarement l’ampleur réelle de ce territoire ultramarin, dispersé en 120 iles au cœur du Pacifique, qui s’étend sur une superficie océanique comparable à celle de l’Union européenne. À elle seule, la Polynésie génère une zone économique exclusive de 4,5 millions de kilomètres carrés — soit le quart de la superficie terrestre de la Russie.
Cette visualisation spectaculaire m’a rappelé que la France dispose, grâce à ses territoires ultramarins, du deuxième domaine maritime mondial, derrière les États-Unis, mais devant l’Australie, la Russie et le Royaume-Uni.
C’est grâce à une rencontre opportune avec un agent de la préfecture que j’ai entendu parler du fameux projet « EXTRAPLAC ». Depuis 2002, le secrétariat général de la Mer pilote ce projet français qui a pour objectif de permettre à la France la revendication et l’extension de ses droits souverains sur le plateau continental, et ce, au-delà des 200 milles nautiques prévus par le droit maritime international. Ce véritable chantier de souveraineté maritime, porté scientifiquement et techniquement par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), a permis à la France, en une décennie, d’étendre son domaine sous-marin de 735 297 km2, soit 1,3 fois la superficie de la métropole terrestre. Les territoires ultramarins se trouvent donc au cœur de cette ambition : la France ne pourrait, sans ses territoires d’outre-mer, exercer une telle influence sur les mers du globe. La première grande avancée a eu lieu en 2014, avec une extension de 579 000 km² au large de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Nouvelle-Calédonie et des iles Kerguelen. Plus récemment, en 2021, deux décrets sont venus accroitre encore cette emprise maritime : 58 000 km² supplémentaires au large de La Réunion et 93 000 km² autour des iles de Saint-Paul et Amsterdam, soit un gain total de 150 000 km².
Je n’en ai pas croisé, pourtant, j’ai un souvenir marquant des navires câbliers d’Orange Marine. Ces navires blancs discrets tracent sous la mer les lignes invisibles de notre monde numérique. Ils avancent lentement, méthodiquement, posant les câbles qui relient les continents et rendent possible ce lien permanent entre les rives. L’ensemble de ces câbles représentent 1,3 million de kilomètres, soit quatre fois la distance Terre-Lune à 9 000 mètres de profondeur. Même loin de tout, l’océan reste traversé par ces réseaux silencieux. La Polynésie, territoire que je quitte, est d’ailleurs récemment devenue un acteur phare du secteur.
Les grandes routes maritimes de la France, artères vitales de la prospérité
Sur mon journal de bord, les routes se dessinaient comme des veines bleues sur un atlas vivant. J’ai compris alors que la mer n’était pas une frontière pour la France, mais une promesse de lien, qui lui confère une agilité hors pair pour rester souple et habile face aux enjeux géopolitiques d’aujourd’hui et de demain. C’est lors de ma traversée du canal de Panama que j’apprends qu’une sécheresse sévère, amplifiée par le phénomène El Niño, affecte gravement le niveau d’eau des lacs qui alimentent le canal. Sans perdre de temps — la route va être longue —, je suis mon cap vers Saint-Pierre-et-Miquelon, grâce à ces avenues bleues qui m’ont bercée de leurs histoires extraordinaires.
Depuis des siècles, les grandes routes maritimes, véritables artères de l’histoire économique et politique mondiale, témoignent d’une tradition d’exploration, de navigation et de commerce qui a façonné non seulement son territoire, mais aussi son regard sur le monde. Des ports bretons aux lagons polynésiens, cette mémoire maritime continue d’inspirer le lien étroit entre les Français et la mer. L’addition de toutes ces routes équivaut à 41 073 milles nautiques, soit 76 067 kilomètres.















