Le soir tombait sur le mouillage, et seule dans ma cabine, mes pensées voguaient loin de l’ancre. J’avais allumé la radio locale pour rompre le silence feutré du crépuscule. Les dernières lueurs dansaient sur l’eau quand la voix du journaliste brisa la quiétude du bord : d’aucuns proposaient d’installer un centre de rétention pour étrangers sous OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est méconnaitre cette sentinelle française aux portes du Grand Nord, cette figure de proue des « rivages français d’Amérique », l’actualité récente rappelant encore la convoitise de territoires avoisinants riches en minerais et en terres rares.
Véritables vigies océaniques, les territoires ultramarins renforcent l’influence de la France dans la gouvernance des échanges et la gestion des espaces maritimes. Dispersés au cœur des grandes routes maritimes de l’Atlantique, du Pacifique et de l’océan Indien, ils confèrent à cette dernière une profondeur stratégique sans équivalent. Par leur gestion et leur influence, les grandes routes maritimes contribuent à renforcer les partenariats internationaux et permettent à notre territoire national de tenir un rôle central dans les organisations et forums maritimes mondiaux. Ces routes constituent un levier diplomatique majeur, notamment dans la négociation d’accords bilatéraux ou multilatéraux, que ce soit en matière de sécurité maritime, de lutte contre la piraterie ou de prévention des trafics illicites, et bien au-delà des sujets internationaux spécifiquement littoraux et maritimes.
Dans cet archipel mondial qu’est la France, la mer est à la fois une promesse, une ressource et un enjeu géostratégique majeur. L’importance de ces routes maritimes se mesure à plusieurs échelles : elles sont à la fois un levier essentiel pour la croissance économique et la compétitivité internationale, un atout stratégique pour la défense, un instrument d’influence diplomatique et un vecteur d’innovation technologique et de protection de l’environnement. Leur contrôle et leur sécurisation permettent à la France de protéger ses zones économiques exclusives, d’assurer la liberté de navigation et d’intervenir rapidement en cas de crise géopolitique.
Ainsi, les grandes voies maritimes ne sont pas de simples tracés sur les océans : elles sont un pilier de la puissance française, un point d’ancrage de son rayonnement sur la scène internationale.
Cap vers la Guyane française, à 7 100 kilomètres de l’Hexagone. Je suis à 900 milles nautiques de la côte. Les alizés sont capricieux et j’estime qu’il me faudra une dizaine de jours pour atteindre ma destination. Sur l’eau, la météo est d’un calme plat — nous sommes en pleine saison humide.

Les ports ultramarins : battements de cœur de la France
J’ai amarré en Guyane. Après des semaines en mer, accoster dans un port ultramarin est toujours une expérience forte. On y sent battre un cœur ardent au rythme des grues, des navires et des voix mêlées sur les quais. Ces ports sont bien plus que des points d’arrivée : ce sont des carrefours maritimes, des lieux d’échange où la France se connecte au monde depuis ses confins océaniques. J’ai jeté l’ancre à Dégrad des Cannes, grand port de commerce du territoire. La lumière y était différente, éclatante, filtrée par les palétuviers, ces arbres emblématiques des mangroves qui ont développé des adaptations uniques pour survivre en milieu salin. Le mélange des odeurs de l’air salé, des épices locales et de la pastèque fraichement coupée me transporte. À terre, la France reprenait forme dans un décor d’Amazonie. Je venais de franchir un cap invisible : celui où l’Hexagone se transforme, se métisse, s’ouvre aux tropiques.
Les ports ultramarins jouent un rôle essentiel dans la connexion entre ces régions éloignées et la métropole, en facilitant les échanges commerciaux, la mobilité humaine et la coopération régionale dans les bassins océaniques où ils s’inscrivent. Ces infrastructures portuaires sont de véritables points névralgiques pour la vie économique, notamment locale : elles permettent l’importation de biens essentiels — comme les denrées alimentaires, le carburant ou les équipements — et l’exportation des productions locales, qu’il s’agisse de produits agricoles, artisanaux ou issus de la pêche. Cette connectivité permet de diversifier les échanges et d’offrir de nouvelles perspectives pour les entreprises locales.
Au-delà des marchandises, les ports ultramarins assurent aussi le transport de voyageurs, soutenant à la fois le secteur touristique et les déplacements professionnels, souvent indispensables dans des territoires insulaires. En tant que portes d’entrée vers les marchés mondiaux, ils offrent aux acteurs économiques locaux la possibilité de s’insérer dans les chaines de valeur internationales, de diversifier leurs débouchés et d’accéder à de nouvelles opportunités de développement. Ces ports incarnent ainsi des carrefours stratégiques, à la fois pour la cohésion du territoire national et pour l’ouverture économique de l’archipel français sur le monde. Vaste étendue de liberté et de lien, j’ai appris que la mer permet à ces échanges de prendre vie, en offrant aux territoires ultramarins leur place dans le grand ballet des océans.
Au petit matin, j’avais déjà quitté à contrecœur les côtes guyanaises, laissant derrière moi les eaux denses de l’estuaire, parfois et malheureusement envahies de sargasse, ces algues qui étouffent l’écosystème et qui nuisent au tourisme et à la pêche. Poussée par les alizés vers le nord-ouest, toute mon attention était dirigée vers un navire de la Marine nationale que je pouvais apercevoir au loin. Peu après, j’aperçus un autre bâtiment singulier : le Canopée, ce cargo hybride à voiles conçu pour transporter les éléments d’Ariane 6 entre l’Europe et Kourou. Sa silhouette futuriste fendait l’horizon, symbole d’une France qui innove jusque sur les flots pour le bien de l’environnement. Le ciel se teintait à peine de rose quand j’ai débarqué sur les côtes de la Martinique, aussi surnommée « l’ile aux fleurs ». À peine arrivée, j’ai eu la chance de croiser un officier de la Marine nationale, fraichement revenu d’une mission de surveillance maritime. Il m’a parlé de son quotidien : la protection des ressources halieutiques, la lutte contre les trafics, les secours en mer.
Escale au Grand Port Maritime de la Martinique
En me rendant au Grand Port Maritime de la Martinique, un pilote maritime nommé Emmanuel, habilité à assister le capitaine pour guider le navire dans les passages difficiles à l’entrée ou à la sortie d’un port, m’a raconté avec fierté l’effervescence qui anime ce port ultramarin. En 2024, ce port a accueilli pas moins de 572 000 passagers, dont 398 000 pour des croisières. Ce qui m’a frappé, c’est la croissance de 12 % des croisières « tête de ligne », malgré une légère baisse du transit de 8 %. Le marin m’a précisé que le port, véritable plaque tournante pour les voyages inter-iles, avait vu son trafic augmenter de 8 %, un signe de l’intensification des liens entre ces iles et le reste du monde (2).














