Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le « sport power » au service de la France

Si l’obtention des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 est dans tous les esprits et constitue indéniablement un jalon essentiel du sport power français, il convient d’adopter une approche plus globale et de dépasser ce seul événement, aussi important soit-il. Comment peut-on aujourd’hui définir la diplomatie sportive française, face à ses rivales, comment analyser son développement et quels enjeux sont inhérents à celui-ci ?

Le dessin de Jacques Faizant publié dans le Figaro du 1er septembre 1960 est resté célèbre. Il représente deux personnages : une petite fille, coiffée d’un bonnet phrygien, tenant à la main un journal sur lequel est écrit « Rome 1960. Débâcle française aux Jeux olympiques » ; devant elle passe le général de Gaulle, en survêtement et baskets, une valise à la main, déclarant « Dans ce pays, si je ne fais pas tout moi-même… ! ». Si le dessin prête à sourire, il n’en est pas moins révélateur du sentiment de honte qu’ont pu ressentir les autorités françaises à la suite d’une médiocre 25e place aux Jeux olympiques de Rome et 5 médailles (seulement) au compteur. Quelle triste image donnée par la France à l’occasion de la première retransmission des Jeux en direct à la télévision, via l’Eurovision. Lors de la séance du 4 novembre 1960 à l’Assemblée nationale, le député du Morbihan, l’abbé Laudrin, n’hésita d’ailleurs pas à déclarer : « Les Jeux olympiques de Rome ont humilié notre jeunesse à la face du monde » (1). Face à ce camouflet national, l’État décide de réagir et met dès lors en œuvre une politique sportive d’ampleur. L’objectif est double : d’une part, améliorer les performances sportives françaises, afin d’autre part de pouvoir faire rayonner la France, et donc sa formation, par ses succès, à l’international.

Plus d’un demi-siècle après cette défaite nationale croquée par Jacques Faizant, quelle analyse faire de la politique sportive française et de son soft power en matière de sport ?

La lente mise en œuvre d’une diplomatie sportive française

Bien que le concept de diplomatie sportive soit passé à la postérité dès 1971 avec le fameux épisode de la « diplomatie du ping-pong » entre les États-Unis et la Chine (2), il est nécessaire de rappeler que le sport est inextricablement mêlé aux relations internationales dès la fin du XIXe siècle. Tout au long du XXe siècle, les États-Unis, l’URSS puis la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, voire même la Nouvelle-Zélande à travers son équipe de rugby ont utilisé le sport comme outil de politique étrangère. Par l’organisation de grands événements sportifs, par leurs succès lors des compétitions, par leur place au sein des instances sportives internationales, ces États parvenaient à s’afficher sur le grand échiquier international et se placer au cœur de l’attention. La place croissante du sport au sein de nos sociétés, en termes de popularité, de diffusion, de pratique mais également d’économie est allée de pair avec une prise en compte de la part du politique. Si la place du sport dans le paysage diplomatique et économique français est désormais acceptée et (quasiment unanimement) reconnue, il est essentiel de rappeler que cela ne fut pas toujours le cas et qu’elle fut le fruit d’une prise de conscience tardive de la part de Paris, ainsi que d’une lente évolution.

Pour la France, la mise en œuvre d’une diplomatie sportive structurée prit du temps et il fallut pour cela qu’elle l’apprenne à ses dépens à travers notamment plusieurs échecs pour l’organisation des méga-événements sportifs, et notamment les Jeux olympiques et paralympiques (3). Si la victoire de la dernière bataille avec l’obtention des Jeux de Paris en 2024 est dans tous les esprits, il conviendra de ne pas oublier le chemin parcouru au cours de la décennie écoulée. Afin de comprendre les raisons de ces échecs répétés, les institutions politiques comme sportives s’interrogèrent et comparèrent leur stratégie à celles des villes-hôtes victorieuses. L’échec de Paris 2012 restait dans tous les esprits, tant il semblait certain que les membres du CIO allaient voter pour la capitale française. Citons notamment un rapport réalisé à la demande du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) par le cabinet KENEO, publié en 2012 qui mit en lumière les carences et les faux-pas des différentes candidatures françaises, poussant les autorités à réagir. En décembre 2012, fut créé par la ministre en charge des sports, Valérie Fourneyron et sous la houlette du CNOSF, le Comité français du sport international (CFSI). Dirigé par Bernard Lapasset, alors président de la Fédération internationale de rugby (International Rugby Board, devenue World Rugby), le CFSI avait pour mission de travailler sur trois axes : consolider l’influence des fédérations françaises dans leur environnement international, en leur apportant soutien en ingénierie, accompagnement et conseil ; renforcer l’influence et le rayonnement du sport français sur la scène internationale ; élargir le champ d’action du sport français en créant des synergies avec des acteurs d’autres secteurs.

Une étape supplémentaire fut franchie pour « incarner » cette diplomatie autour du sport : la création d’un poste d’ambassadeur, spécifiquement dédié à cette cause. Le 25 octobre 2013, Jean Lévy, diplomate expérimenté, se voyait dès lors confier par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et Valérie Fourneyron, ministre des Sports, une triple mission : mobiliser l’ensemble de notre réseau diplomatique afin de soutenir l’attractivité de la France pour l’organisation de grands événements sportifs majeurs, promouvoir les entreprises françaises sur tous les marchés liés au sport, renforcer notre présence dans les postes de décisions au sein des instances sportives internationales. Jean Lévy fut remplacé en juillet 2015 par Antoine Anfré puis par Philippe Vinogradoff. Laurence Fischer, ancienne championne du monde de karaté, reprend le poste en juillet 2019, chargée d’incarner cette diplomatie sportive en France comme à l’étranger, et d’être donc la cheville ouvrière entre les différents acteurs étatiques, économiques, associatifs. Ce poste est d’autant plus précieux que rares ont été les États à se doter d’une structure similaire. La Russie et le Japon peuvent notamment être cités.

L’accueil des grands événements sportifs comme vitrine de la France

Le sport power français pourrait se définir par plusieurs axes forts dont la présence de dirigeants nationaux au sein d’instances de décisions internationales, permettant de faire entendre la voix française, mais également par l’accueil de méga-événements sportifs.
Au-delà des compétitions internationales mythiques accueillies régulièrement sur le territoire national — songeons au Tour de France, au Vendée-Globe, à la Route du Rhum, à Roland-Garros pour ne citer qu’eux —, la France a mis en place une politique volontariste dans l’accueil des compétitions continentales voire internationales. Dès 2010, David Douillet, alors député, dans un rapport réalisé à la demande du Président de la République, détaillait l’attractivité de l’Hexagone pour l’organisation des grands événements sportifs et définissait plusieurs orientations (4). En 2016 et 2019, ce sont près de 30 championnats du monde et d’Europe qui y ont été organisés (5). À l’exception notable de 2020, très largement perturbée par la crise sanitaire de la COVID-19, le rythme restera effréné d’ici 2024 avec, entre autres, deux méga-événements sportifs : la Coupe du monde masculine de rugby (septembre-octobre 2023) et les Jeux olympiques et paralympiques (juillet-septembre 2024).
Comment comprendre cet activisme sur ce sujet ? Plusieurs raisons peuvent ici être avancées. Il s’agit tout d’abord d’une « tradition » française, et où les acteurs publics comme privés ont su développer un réel savoir-faire, reconnu et convoité à l’international. Plusieurs entreprises françaises sont considérées comme leaders sur ce secteur, pourtant hautement concurrentiel. Par voie de conséquence, confier l’organisation d’un événement sportif à la France est un gage de qualité mais également de sureté pour les fédérations internationales qui supervisent ces compétitions : nul risque (en théorie) de voir des retards considérables dans la mise en œuvre de travaux, de mauvaise gestion des flux touristiques, etc.

L’argument est évidemment diplomatique : pendant une semaine, une quinzaine ou un mois, l’attention est concentrée sur le lieu de la compétition. À l’instar de l’accueil du G20 par l’exemple, les médias et téléspectateurs vivent à l’heure du pays où se déroule la compétition et sont donc plus vigilants à sa politique, intérieure comme étrangère. Rappelons par exemple, que, selon le CIO, les Jeux de Londres de 2012 ont été suivis par un total de 4,8 milliards de téléspectateurs (6). Selon ASO, qui organise le Tour de France, il serait également suivi par 3,5 milliards de téléspectateurs… même si une étude du chercheur Daam Van Reeth estime plutôt que chaque étape est suivie par 15 à 20 millions de téléspectateurs dans le monde (7). La Grande Boucle est diffusée dans 190 pays (8), envoyant au monde une sorte de gigantesque carte postale de la France.

Enfin, il faut également souligner que cette stratégie doit être lue à travers le prisme purement politique. En effet, les autorités politiques et sportives considèrent que l’accueil de grands événements sportifs bénéficie aux territoires pour plusieurs raisons, parfois cumulatives : ils renvoient une image dynamique, positive, ils peuvent développer le tourisme, ils permettent la création d’emplois pérennes ou ponctuels, permettent la rénovation d’infrastructures, ils contribuent à développer une culture sportive, etc.

Sur ce dernier point, il convient d’être prudent. Jusqu’à récemment, peu d’événements sportifs faisaient l’objet d’une analyse ex-post systématique, permettant pourtant de mettre en lumière les réussites, les points de vigilance et les points d’alerte. C’est désormais une politique qui se démocratise, permettant ainsi, à l’aide d’indicateurs, de connaitre les retombées exactes de ces manifestations. La crise économique, la multiplication des « éléphants blancs » (9), les réflexions sur l’héritage d’un événement mais également les prises de conscience de l’impact écologique de ces manifestations ont rendu indispensables ces analyses, permettant de chiffrer avec plus ou moins de précision l’impact économique, social, politique de ces compétitions.

Quel avenir pour le sport power français au temps de la COVID-19 ?

À quelques mois de l’accueil de deux méga-événements sportifs que sont la Coupe du monde masculine de rugby (2023) et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris (2024), la situation sanitaire liée à la pandémie mondiale de la COVID-19 soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. À l’échelle française, deux interrogations sont omniprésentes : les conditions d’organisation de ces compétitions sur notre sol, mais également de façon plus pragmatique la place du sport demain.

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