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Arctique : une région sous tension ?

Deloitte estime que le coût de la production offshore dans l’Arctique atteint en moyenne 75 dollars par baril — soit presque le triple du coût de production des gisements terrestres au Moyen-Orient (9). Les évaluations d’IHS Energy sont encore moins encourageantes, soulignant que le seuil de rentabilité du pétrole arctique serait proche d’environ 100 dollars le baril (10). En novembre 2019, le cours du Brent était d’environ 62 dollars le baril. Ce n’est pas l’absence de gisement qui mine l’industrie pétrolière en Arctique, mais la déprime des cours mondiaux face à des coûts qui demeurent très élevés et à des découvertes pour l’heure assez limitées.

L’Arctique recèle également d’importantes ressources minières, avec des gisements parfois connus depuis longtemps. Ainsi le gisement de nickel de Norilsk, exploité depuis 1935 en Sibérie via le port de Dudinka, ou le gisement de fer de Mary River au Nunavut, découvert en 1962 et mis en exploitation en 2014 ; ou encore de Red Dog en Alaska, plus importante mine de zinc au monde (10 % de la production mondiale), ouverte en 1989. En Russie, de nouvelles mines devraient prochainement entrer en exploitation (mine de charbon dans la péninsule de Taymyr, de zinc et de plomb sur l’île de Nouvelle-Zemble notamment) et venir gonfler les chiffres du trafic maritime de la Route maritime du Nord — le Kremlin ayant fixé l’objectif de 80 Mt pour 2024. Une frénésie minière et pétrolière s’était emparée de l’Arctique jusqu’en 2014, tempérée d’abord par la crise de 2008 puis par la déprime des cours à la suite du ralentissement de la croissance en Chine. La prospection y est toujours active, mais nombre de projets ont été reportés ou annulés, comme la relance de la mine de fer de Sydvaranger près de Kirkenes (Norvège), de la mine de nickel du chinois Jilin Jien à la baie Déception (Québec), de la mine de fer d’Isua au Groenland. Alors qu’une quarantaine de projets miniers étaient en cours en 2008, seules huit mines étaient actives dans l’Arctique canadien fin 2019.

Il faut souligner que l’impact des CC complique la mise en œuvre de l’exploitation des ressources. En mer, certes la fonte de la banquise ouvre les espaces maritimes pour des périodes plus longues, mais, moins compacte, la banquise se meut également plus rapidement et des bancs de glace peuvent parfois venir exercer de vives pressions sur les plateformes. Libre de glace, la mer est désormais sujette à des tempêtes jusqu’ici inconnues, qui de plus projettent parfois des blocs de glace sur les structures ou les englacent dangereusement si la température descend sous le point de congélation (phénomène de l’icing). Sur terre, la fonte du pergélisol, loin d’ouvrir le territoire, vient au contraire considérablement compliquer le transport en réduisant les périodes pendant lesquelles le sol est dur et stable : il faut donc construire, à grands frais, des routes qui se déforment au rythme de l’affaissement du sol, dans des régions où sable et gravier sont rares.

Des différends sur les frontières maritimes

Dans ce contexte, la tension accordée aux différends, réels, sur les espaces maritimes, est à relativiser. Moscou peut bien planter le drapeau russe au fond de l’océan Arctique, comme en août 2007, son geste de revendication n’a aucune valeur juridique. Cet épisode, les déclarations du gouvernement russe quant aux risques d’une guerre pour les ressources arctiques, et les spéculations quant à l’ampleur des gisements arctiques, ont grandement contribué à ce glissement de l’actualité politique arctique. Le principe de la ZEE est acquis pour tous les États côtiers et la revendication d’un plateau continental étendu doit être avalisée par une organisation des Nations Unies, la Commission des limites du plateau continental (CLPC), qui examine les preuves géologiques de l’extension du plateau continental physique au-delà des 200 milles marins. Cependant, la Commission ne tient compte ni de l’ordre de présentation des dossiers, ni du caractère unilatéral de la revendication : le droit à un plateau continental étendu est imprescriptible, tous les États côtiers peuvent en bénéficier indépendamment des revendications de pays tiers, et toute revendication doit être avalisée sur le fond par la CLPC.

Le plateau continental étendu est une zone marine au-delà de la limite des 200 milles marins qui forme l’enveloppe extérieure de la Zone économique exclusive (ZEE). Dans la ZEE, un navire étranger peut circuler librement tant qu’il ne s’engage pas dans une activité d’exploitation des ressources, mais l’État conserve des droits souverains sur toute activité économique en mer (pêche) comme dans les fonds marins (extraction minière) ; dans le plateau continental étendu (PCE), l’État côtier ne conserve que des droits souverains sur les ressources des fonds marins.

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