Le 14 juin 2016, lors du salon Eurosatory, la firme allemande Rheinmetall révèle officiellement son dernier-né : le Lynx KF31 (Kettenfahrzeug 31), véhicule chenillé de 30 t équipé d’une caisse proche de celle du Marder et d’une tourelle Lance 2.0 armée d’un canon de 30 mm. À cette époque, le nouveau véhicule est présenté dans une livrée australienne, car la firme d’Unterlüss espère bien signer un contrat avec Canberra qui souhaite, dans le cadre de son programme Project Land 400 Phase 3, remplacer sa flotte de 430 M‑113AS4. Développé de manière privée, le Lynx se présente comme une véritable plate-forme générique pouvant remplir l’intégralité du large spectre de missions de haute et de basse intensité auxquelles les forces de l’OTAN devront faire face au cours des prochaines décennies.
Le projet s’appuie sur les retours d’expérience des derniers engagements de basse intensité de l’OTAN, Balkans et Afghanistan, sans oublier les conflits de haute intensité en mettant en avant sa très grande modularité, sa haute technologie, son haut niveau de protection et sa puissance de feu. Deux ans plus tard, en 2018, toujours lors d’Eurosatory, est présenté le modèle lourd : le KF41, avec une caisse inédite. Aujourd’hui, la plupart des experts militaires s’accordent à dire que les menaces qui pèsent sur les blindés modernes sur les champs de bataille actuels et futurs sont de plus en plus diverses : missiles ou roquettes antichars, systèmes d’artillerie de plus en plus évolués, guerre électronique omniprésente, IED, EFP, etc.
Pourtant, en tant que pion de manœuvre essentiel des forces terrestres, les unités blindées doivent trouver la parade, car c’est bien à elles, au sol, qu’il est demandé de gagner la victoire « au coin du bois ». De plus, les adversaires potentiels de l’OTAN n’ont cessé lors de ces dernières décennies de renforcer leur capacité à mener une campagne classique tout en mettant l’accent sur quatre domaines identifiés : la guerre électronique bloquant, entre autres, les signaux GPS ; le tir indirect avec sous-munitions ; le développement de véhicules de combat capables de surclasser ceux alignés par l’OTAN ; le concept A2/AD (anti-access/aerial denial) menaçant la capacité des troupes occidentales à conserver leur liberté de manœuvre. C’est dans cet esprit que le Lynx a été développé.
Une logique modulaire
Associé à la tourelle Lance 2.0, c’est le véhicule de combat le plus abouti dans les domaines de la survivabilité, de l’adaptabilité et de la protection, et avec une puissance de feu encore jamais vue sur un véhicule de combat d’infanterie. Ainsi, en fonction du type de mission, des règles d’engagement, de l’environnement et de la posture, le Lynx, grâce à son architecture modulaire, se présente comme un véritable couteau suisse.
Cette modularité, véritable clef de voûte du projet, est possible grâce à un châssis unique possédant une architecture digitale commune qui autorise une intégration rapide, en deux à quatre heures, sans infrastructures lourdes, des modules appropriés, comme cela a été présenté durant Eurosatory 2016. Ainsi, la famille Lynx comprend 17 modules, dont huit principaux pouvant être installés sur un châssis porteur unique, comme le GTK Boxer qui peut être considéré comme son pendant à roues.
Le Lynx est proposé en huit versions : IFV, APC, appui-feu, commandement, mortier sous tourelle, reconnaissance génie, génie assaut et sanitaire. De plus, le fait qu’il soit baptisé Lynx, et non pas « Luchs » comme le célèbre véhicule de reconnaissance de la Wehrmacht ou celui de la Bundeswehr, prouve que Rheinmetall destine bien son véhicule à l’exportation en anglicisant son nom de baptême. Le Lynx semble donc s’adresser à la multitude, tout en étant présenté comme le véhicule idéal du continuum des opérations : intervention, stabilisation et normalisation. Le Lynx sera-t‑il le nouveau véhicule de combat occidental des cinquante prochaines années ?
Prospects à l’exportation
Quoi qu’il en soit, il s’inscrit parfaitement dans la stratégie mondiale à long terme que Rheinmetall cherche à développer. Outre ses 130 ans de savoir-faire, la firme allemande a pour principal cheval de bataille le transfert de technologie aux quatre coins du monde, cherchant en permanence à impliquer des nations tierces, des clients potentiels ou avérés, ou des compagnies étrangères afin d’étendre son hégémonie dans le domaine du développement et de la production de véhicules blindés. Ainsi, totalement impliqués dans le processus de développement et de production, ces pays sont considérés comme des clients-partenaires. Le cas de l’Australie en est le premier et le plus brillant exemple. En effet, afin de remplacer ses 257 ASLAV, dans le cadre de son projet Project Land 400 Phase 2, l’Australie devient le 17 août 2017 le premier « client-partenaire » avec la signature d’un contrat de 2,4 milliards de dollars portant sur l’acquisition de 211 GTK Boxer. Parmi eux, 133 doivent être équipés de la tourelle Lance, qui sera produite sur le sol australien. Les 20 premiers Boxer doivent être produits en Allemagne, et le reste en Australie. Pour ce faire, l’usine d’Adelaïde est modernisée à hauteur de 165 millions de dollars et un site de développement et de production MILVEHCOE (Military vehicle centre of excellence), duquel doit sortir la tourelle Lance qui équipera à terme le Boxer et le Lynx, est construit à Redbank Plains, dans le même État. Le message est clair : Rheinmetall veut décentraliser chez le client la production du véhicule vendu. Conformément à ses ambitions, Rheinmetall associe diverses firmes australiennes au développement de sous-éléments, comme Milspec (génératrice), Supashock (suspensions) et Cablex (réseau électrique). Concernant le remplacement des 430 M‑113AS, évoqué en préambule, rien n’est arrêté à ce jour. Rheinmetall, avec son Lynx, se tient à l’affût de ce nouveau juteux marché représentant 8,5 milliards d’euros. Mais il aura fort à faire face au nouveau VCI proposé par l’entreprise sud-coréenne Hanwha : l’AS21 Redback, après que GDLS avec son ASCOD 2 et BAE Systems avec son CV 90Mk IV se sont retirés de la compétition.
Le Lynx a néanmoins sur son concurrent asiatique l’avantage de la nouveauté et de l’innovation, car, bien qu’il soit spectaculaire, l’AS21 n’est en fait qu’une version améliorée du K21 en service dans les forces sud-coréennes depuis 2009. En septembre 2018, le KF41 est présenté en Australie, à Adelaïde, mais il faut attendre octobre 2019 pour qu’un premier contrat portant sur l’acquisition de trois KF41 soit signé. Ces trois exemplaires, dont le premier a été remis le 9 novembre 2020, sont destinés à une campagne de tests qui doit s’étaler sur 12 mois, lors de laquelle ils seront directement opposés au Redback dont le premier exemplaire arrivera en janvier 2021. Si tout se déroule conformément aux prévisions, nous devrions connaître dans un an environ le successeur des M‑113AS4. Le vainqueur devra alors livrer ses premiers exemplaires de série entre 2024 et 2025, et ce jusqu’en 2031.