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Armée de l’Air et de l’Espace : le défi de la stratégie des moyens

Les mois de février et mars ont été marqués par des débats à propos de la viabilité de la collaboration franco-allemande sur le SCAF. Êtes-vous inquiet pour sa concrétisation ?

Frédéric Parisot : L’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) doit constamment se moderniser pour conserver sa supériorité opérationnelle. La LPM 2019-2025 a permis la livraison d’avions de combat Rafale au standard F3R, le renouvellement d’avions de transport (A400M, C‑130J, MRTT) et le renforcement de la composante hélicoptère (H225). L’AAE a également reçu de nouveaux drones Reaper MQ‑9, des Avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) et des systèmes spatiaux. La modernisation de nos systèmes de commandement et de contrôle des opérations aériennes a également été lancée et de nouvelles capacités sont en cours de développement comme ARCHANGE (Avions de renseignement à charge utile de nouvelle génération), système aéroporté de recueil de renseignement.

L’AAE est ainsi en mesure de réaliser de façon autonome un très large spectre de missions. Afin de pouvoir tenir des engagements de haute intensité dans la durée, il nous faut désormais disposer de plus de « masse » pour combattre. Cela concerne les appareils, mais également les équipages, les munitions et les équipements majeurs (radars, pods) si nous voulons pouvoir nous protéger suffisamment, encaisser les coups et riposter à un engagement de haute intensité. Alors que la notion d’attrition réapparaît, la quantité est une qualité en soi. Parallèlement, nous renforçons notre capacité à être interopérables avec nos partenaires des autres forces aériennes, car il est très peu probable que la France reste seule dans un conflit armé. À ce titre, il était fondamental pour nous de continuer à nous entraîner avec nos alliés ces derniers mois malgré les difficultés liées à la crise sanitaire.

Pour conserver notre supériorité opérationnelle dans les prochaines décennies, il faut dès aujourd’hui démultiplier les capacités de nos outils. Ce constat est partagé par nos partenaires européens. Nos équipements sont déjà en mesure d’échanger un certain nombre d’informations tactiques. Il faut qu’ils soient demain plus interconnectés, interopérables afin que nos actions puissent être davantage coordonnées. Ce « combat collaboratif connecté » doit permettre à terme une parfaite intégration des différentes plates-­formes et de leurs capteurs afin d’augmenter leur efficacité et de renforcer leur survivabilité. C’est ainsi que l’AAE s’est engagée dans le développement du Système de combat aérien du futur (SCAF), centré autour du projet en coopération NGWS (Next generation weapon system). Ce programme est ambitieux pour deux raisons. D’abord, nos équipements devront s’appuyer sur les dernières technologies dans de très nombreux domaines tels que la propulsion, la détection, la connectivité, l’intelligence artificielle, la furtivité ou les interfaces homme/machine. Ensuite, le choix de développer ce système avec nos partenaires allemands et espagnols nous permet notamment d’avoir la certitude d’être complètement interopérables. Beaucoup de projets structurants pour l’AAE, comme l’A400M, le MRTT et prochainement l’EuroMALE, s’appuient déjà sur des moyens capacitaires européens.

En tant que MGAA, il est de ma responsabilité de bien exprimer le « juste besoin » de l’AAE à l’état-­major des armées et à la DGA. Notamment, le NGWS au cœur du SCAF devra mettre en œuvre la composante aéroportée de la dissuasion. Les modalités contractuelles et le montage industriel ne sont, en revanche, pas de la responsabilité de l’AAE. J’insiste néanmoins sur un point. Le monde se réarme très rapidement. Nos concurrents et nos partenaires l’ont compris et se lancent dans le développement d’avions et de systèmes de sixième génération. Il est indispensable que le NGWS arrive à l’heure et qu’une première capacité opérationnelle soit disponible en 2040.

Si elles ne l’avaient pas totalement délaissée, nombre d’armées reprennent en compte la question de l’engagement de haute intensité, à laquelle le SCAF constitue l’une des réponses. L’AAE a‑t‑elle déjà arrêté son choix en matière de capacités des effecteurs déportés ?

Un programme d’armement comme le SCAF suit différentes phases. Les travaux de développement et de production ne commencent que lorsque les caractéristiques du système d’armes ont été bien identifiées au regard du contexte opérationnel prévisible.

L’Allemagne, l’Espagne et la France partagent la même vision du SCAF, exprimée autour du projet NGWS, dans un document de haut niveau signé par les trois nations en mars 2019. Propres à chaque pays, mais tous interopérables, les SCAF nationaux devront connecter les capacités nationales actuelles (Rafale pour la France, Eurofighter pour l’Allemagne et l’Espagne pour ce qui concerne les avions de combat) et les capacités futures : ce seront des systèmes à l’architecture ouverte, combinant différents moyens travaillant en collaboration. Dans le cadre de l’élaboration de leurs futurs SCAF, les trois pays ont fait le choix de coopérer sur ce qui sera au cœur même de chacun des SCAF nationaux : le développement d’un avion de combat de nouvelle génération (New generation fighter – NGF), accompagné de drones (Remote carriers – RC) qui produiront des effets complémentaires. L’ensemble sera interconnecté au sein d’un cloud de combat.

Les enjeux sont majeurs. Le NGWS devra être polyvalent et flexible pour répondre aux missions de supériorité aérienne, dans des engagements potentiellement de haute intensité, et plus globalement être en mesure d’agir depuis la 3e dimension sur l’ensemble du spectre des menaces, dans le cadre d’opérations menées avec des alliés. Le NGWS devra exploiter le potentiel de la connectivité et de la fusion de données en temps réel. L’intelligence artificielle devra également être exploitée pour aider les pilotes dans leurs missions, dans le plein respect de notre cadre éthique et juridique. Les premiers travaux industriels sur les concepts et la Recherche et technologie (R&T) ont débuté. Ils concernent l’évaluation de différentes architectures possibles de NGF et de RC au sein d’un cloud de combat. En parallèle, les travaux sur les technologies liées à l’avion de combat futur, à sa furtivité, au moteur, aux drones accompagnateurs, au combat collaboratif connecté et aux capteurs permettent d’évaluer la faisabilité de chacune d’entre elles et de préparer leur maturité à l’horizon 2040.

N’oublions pas que nous aurons des Rafale dans l’AAE jusque vers 2065/2070 et qu’il faudra leur conserver un bon niveau opérationnel. En parallèle, sur le NGWS, les choix qui seront faits engageront l’AAE pour les prochaines décennies, voire jusqu’au début du XXIIe siècle. Toutefois, il s’agit de rester suffisamment agile pour prendre en compte les dernières technologies innovantes et en tester un très grand nombre durant cette phase préparatoire, quitte à faire quelques erreurs, pour être certains de nos choix. À ce titre, les prochaines évolutions du Rafale au standard F5 doivent nous permettre de tester des capacités en vue du NGWS. Les décisions qui seront prises dans les prochains mois, voire dans les prochaines années, seront décisives, compte tenu de l’évolution permanente du contexte opérationnel.

Au-delà du SCAF, il y a la question du renouvellement des capacités ISR et singulièrement des drones MALE. Au regard de scénarios de haute intensité, ces derniers apparaissent cependant vulnérables. Faut-il reconsidérer ce type de formule ou ne l’affecter qu’aux opérations offrant un confort opératif ?

Les Reaper MQ‑9 en action en BSS (Bande sahélo-saharienne) ont été achetés aux États-Unis. Nous avons fait ce choix il y a dix ans pour disposer au plus vite de cette capacité. Nous avons bien fait. Aujourd’hui, c’est un véritable atout en opérations et personne ne conçoit de réaliser les missions en BSS sans utiliser ces vecteurs. Drones et chasseurs y sont complémentaires : la chasse a une réactivité globale sur un théâtre aussi grand que l’Europe, tandis que le drone a une réactivité locale sur une zone beaucoup plus restreinte où il maximise l’intérêt de la permanence, qui est sa caractéristique principale.

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