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Armée de l’Air et de l’Espace : le défi de la stratégie des moyens

La France soutient le projet d’une souveraineté industrielle européenne dans le domaine de la défense. Nous devons être en mesure de fabriquer nos propres équipements européens, notamment dans le domaine des drones MALE. C’est l’enjeu de l’EuroMALE. La supériorité aérienne pourrait nous être contestée dans les prochaines années par des puissances régionales ou mondiales. Nous avons tendance à oublier que cette supériorité aérienne, qui reste un prérequis à toute opération interarmées, ne va pas de soi. C’est pour pouvoir la garantir encore demain que nous développons le SCAF avec nos partenaires allemands et espagnols.

Je remarque néanmoins aujourd’hui que nous sommes en mesure de mettre en œuvre des capacités ISR sans avoir la supériorité aérienne, notamment grâce à nos capacités spatiales. S’ils sont essentiels à nos opérations, les satellites n’offrent pour autant pas les mêmes capacités que les drones. La constellation CSO que nous sommes en train de lancer (CSO‑1 en décembre 2018, CSO‑2 en décembre 2020, CSO‑3 en 2022) nous permet de disposer d’une composante spatiale optique à haute, très haute et « extra-haute » résolution afin d’être en mesure de réaliser des missions de reconnaissance et d’identification. Le taux de revisite sera largement amélioré avec le troisième satellite, mais aussi par le biais d’achats de services (c’est-à‑dire d’images), auprès d’opérateurs de confiance. L’accord que nous avons signé avec l’Italie en 2019 nous permettra d’accéder à la composante spatiale radar de seconde génération (CGS) dès 2022. Et la mise en service imminente du système CERES (Capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale) renforcera largement nos capacités ISR dans le domaine électromagnétique.

Finalement, le drone dont nous disposons dans notre inventaire a des qualités indéniables, dont celle d’être moins onéreux qu’une plate-­forme habitée. Ses capacités ne cesseront de croître dans les prochaines années avec, en parallèle, des coûts qui se rapprocheront de ceux d’un avion. S’il faut de nouveau s’intéresser aux conflits de haute intensité, ceux dits de basse intensité resteront assurément dans notre quotidien, laissant aux drones MALE toute leur place dans notre arsenal.

La pleine capacité opérationnelle du Rafale F3R a récemment été prononcée et le standard F4 est sur les rails. D’ici à 2030, ce sera le F5. Quelles sont vos attentes capacitaires pour ce dernier ?

Dès la conception, le Rafale a été pensé dans une démarche incrémentale. Elle va se prolonger au-delà de l’entrée en service du NGF à l’horizon 2040, comme évoqué précédemment. La LPM a permis la mise en service opérationnel du standard F3R en mars 2021. Les équipages mettent en œuvre la nacelle TALIOS (1) dans le cadre des opérations au Levant et peuvent voler armés de missiles air-air à très longue portée, les Meteor. Ce standard introduit également d’autres améliorations capacitaires, telles que l’intégration de nouvelles bombes guidées de précision, ou l’extension des fonctionnalités liées aux liaisons de données tactiques.

Le standard F4 a été notifié en décembre 2018. Les Rafale qui pourraient être livrés à l’AAE au titre de la 5e tranche seront dotés de nouveaux équipements et d’améliorations substantielles : la radio logicielle CONTACT, une liaison

SATCOM et un serveur de communication permettant de renforcer la connectivité de l’appareil ainsi que de nouvelles améliorations du système d’autoprotection SPECTRA (2). C’est un standard très complet que je qualifierais de majeur pour le Rafale. Il concerne les armements (AASM (3) de 1 000 kg, MICA‑NG (4)), les capteurs (nouvelle voie infrarouge pour l’optronique secteur frontal, viseur de casque), mais aussi la maintenance (intégration d’intelligence artificielle). Ils bénéficieront également d’une cyberprotection renforcée.

Au début des années 2030, le standard F5 nous permettra d’améliorer encore la capacité d’entrée en premier du Rafale, avec de nouveaux capteurs et armements, mais également des capacités à communiquer, à collaborer et à être interopérable. Les contours de ce standard ne sont pas encore arrêtés. Il faut rester agile pour bénéficier de la rapidité avec laquelle les technologies évoluent. En 15 ans, l’AAE est passée du standard F2 au standard F3R, capable de réaliser des missions de renseignement avec la nacelle RECO‑NG, de mettre en œuvre le missile ASMP‑A et de prendre part à des raids complexes comme Hamilton. Dans 15 ans, le Rafale sera doté d’un nombre impressionnant de capacités, dont certaines que nous n’imaginons pas encore.

Si l’équipement est essentiel, il a fallu aussi conduire des évolutions majeures dans le domaine de la formation des équipages, des mécaniciens, des spécialistes du renseignement et de la cyberprotection. Il a fallu aussi adapter nos infrastructures à cet appareil qui n’a pas de « grande visite » comme le Mirage 2000. C’est surtout une large transformation numérique qu’il faut mener. À cet égard, l’AAE développe une stratégie spécifique de la donnée afin de valoriser celles dont nous disposons déjà, et celles que nous allons produire, au profit de notre performance opérationnelle.

L’Air command and control system (ACCS) a pris du retard. Où en est son déploiement ?

Nous modernisons en permanence nos radars, nos centres de télécommunications et les systèmes « Command and control » (C2) qui nous permettent d’appréhender la situation aérienne générale. L’enjeu est simple, être en mesure d’assurer en permanence la protection de notre espace aérien national, 24 heures sur 24, 365 jours par an. Cette mission, dont l’importance est apparue lors des attaques du 11 septembre 2001, est confiée à l’AAE par le Premier ministre. Nous avons immédiatement renforcé notre dispositif pour être en mesure de parer à toute éventualité de manière autonome. Nous sommes néanmoins totalement intégrés au dispositif OTAN, ce qui nous permet de disposer de davantage de préavis lorsqu’un appareil au comportement douteux survole nos alliés.

L’ACCS vise à harmoniser la structure C2 des pays de l’Alliance. C’est un programme majeur mené par l’OTAN, très complexe à conduire. Il a effectivement pris du retard. Il remplacera dans quelques années le système STRIDA (5), qui poursuit sa mise à niveau en intégrant de nouveaux radars et de nouvelles technologies numériques notamment. Les développements actuels sont très encourageants. Ils offriront une architecture performante, à la hauteur des futurs enjeux. Des travaux nationaux sont également en cours pour préparer le déploiement de nos différents centres.

Nombre de forces aériennes développent un armement hypersonique conventionnel, mais la France le cantonne à la composante aéroportée de la dissuasion. Faut-il revoir notre position ?

La dissuasion nucléaire française repose sur le principe de stricte suffisance, ce qui impose de la moderniser pour faire face aux nouveaux défis posés par des systèmes de défense sol-air et antimissiles toujours plus performants. La France avance sur le chemin de l’hypersonique dans le cadre des travaux concernant le missile air-sol nucléaire de 4e génération (ASN4G) devant être mis en service en 2035. Ce nouveau missile hypervéloce manœuvrant permettra de garantir la crédibilité de la composante aéroportée de la dissuasion française.

Le premier statoréacteur a été testé dès 1949 avec le fameux Leduc 10. Aujourd’hui, nos industriels travaillent pour mettre au point des superstatoréacteurs, qui permettront d’atteindre les vitesses hypersoniques. La France a ainsi des atouts à faire valoir, avec une longue expérience, principalement portée par la dissuasion nucléaire et des centres d’excellence tels que l’ONERA qui explorent les technologies nécessaires aux programmes hypersoniques depuis de nombreuses années.

La France refuse de jouer sur l’ambiguïté de ces vecteurs dans l’exercice de la dissuasion, dont la doctrine doit rester lisible. Pour autant, cela ne signifie pas que d’autres moyens, potentiellement hypervéloces, ne pourront pas servir à l’avenir pour des missions conventionnelles.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 3 mai 2021.

Notes

(1) Targeting long-range identification optronic system.

(2) Self-protection equipment to counter threats for Rafale aircraft.

(3) Armement air-sol modulaire.

(4) Missile d’interception, de combat et d’autodéfense de nouvelle génération.

(5) Système de traitement et de représentation des informations de défense aérienne.

Légende de la photo en première page : Enjeu majeur, le SCAF regroupe aussi bien le Rafale que le NGWS (Next generation weapon system).
(© V. Almansa/A. Pecchi/Eridia/Dassault Aviation)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°78, « Numéro spécial Aviation de combat 2021  », Avril – Mai 2021.
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