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Proxies spatiaux : vers une normalisation de l’espace comme domaine de confrontation

Depuis que l’homme s’est lancé à sa conquête, l’espace s’est révélé être un environnement stratégique particulier, au sein duquel la conflictualité a pris des formes singulières. Toutefois, les activités spatiales ont largement évolué dans la dernière décennie. Nouveaux acteurs, nouvelles capacités, nouveaux objectifs : les règles du jeu ont changé en conséquence.

L’utilisation grandissante de proxies dans l’espace est l’un des facteurs qui changent profondément la donne stratégique. Alors que l’espace a longtemps été la chasse gardée des États, les puissances spatiales comptent de plus en plus sur des tiers pour mettre en œuvre tout ou partie de leur stratégie spatiale. On pense bien sûr à SpaceX qui, maîtrisant aujourd’hui une bonne partie du spectre spatial, agit comme prestataire de services au profit de la NASA sur un certain nombre de ses segments d’activité.

Prenant acte de ces changements, il semble opportun de réfléchir aux évolutions de la conflictualité spatiale qu’ils engendrent. Pour le dire directement, le processus de « proxisation » des activités spatiales mènerait à une normalisation de l’espace, c’est-à‑dire qu’il ferait de celui-ci un champ de confrontation ouvert (1). La violence y augmenterait et se stabiliserait à un niveau relativement élevé, mais sans mener à un conflit global, comme cela aurait pu être le cas il y a encore quelques années. Après avoir défini les caractéristiques du milieu spatial, nous déterminerons le rôle et l’emploi des proxies dans le contexte de la normalisation de la confrontation pour ensuite identifier les opportunités qui en découlent. Avant de parler de conflictualité spatiale, il faut comprendre comment le milieu spatial contraint l’action des hommes qui y évoluent et qui s’y confrontent. La singularité spatiale s’explique principalement par trois caractères désormais structuraux de l’espace exoatmosphérique, que nous appellerons les « trois V ».

<strong>L’espace utile</strong>
L’Espace « utile » est structuré en différentes strates :

• la première strate, ou couche géographique, est composée des orbites utiles sur lesquelles évoluent les différents satellites (orbite terrestre basse, moyenne, haute ou encore géosynchrone), des points d’intérêt comme les points de Lagrange, positions d’équilibre entre deux corps célestes, et des « profondeurs spatiales », volumes situés entre ces orbites et au-delà ;

• la deuxième strate, ou couche matérielle, regroupe l’ensemble des artefacts, équipements et plates-formes qui servent de support aux services spatiaux ;

• la troisième strate, ou couche servicielle, inclut l’ensemble des flux de données échangés avec les artefacts en orbite. Ces flux de données sont soit la raison d’être (flux descendants) de la présence des satellites en orbite (communications, GPS, photos, etc.), soit leur mode de contrôle (flux montants) ;

• enfin, la dernière strate, ou couche organisationnelle, rassemble l’ensemble des activités terrestres visant à permettre la production des services spatiaux (y compris les relations entre entreprises liées au spatial). 

Les « trois V »

L’espace est en premier lieu un milieu « visqueux » sur le plan physique, extrêmement contraignant pour l’action humaine. Quatre idées peuvent résumer cette viscosité. La physique des orbites réduit considérablement le « terrain » utilisable pour la manœuvre spatiale à quelques zones réduites et très surveillées. La gravité y est un adversaire permanent. Les conditions extrêmes qui règnent dans l’espace constituent un premier facteur d’attrition du matériel. Enfin, la SSA (2) et la peur du syndrome de Kessler (3) réduisent considérablement la palette des modes d’action effectivement disponibles pour l’action conflictuelle. La viscosité de l’espace doit donc être prise en compte pour gérer les forces physiques avant et pendant l’action conflictuelle. Pour se la représenter, on pourrait imaginer deux hommes s’affrontant au milieu de l’océan pendant des heures : pour gagner, il faudra surnager autant que se battre !

C’est aussi un milieu de confrontation « vicieux ». Les compétiteurs qui y agissent sont désormais de natures très différentes, ont des intérêts et des ambitions souvent divergents, parfois incompatibles, et surtout agissent dans un milieu stratégique extrêmement polarisé par la puissance américaine. De surcroît, ils s’opposent dans un jeu aux règles très floues : le cadre légal de l’action y est bien moins consolidé qu’ailleurs (4). En outre, le « brouillard de la guerre » est particulièrement dense dans l’espace. La nature ambivalente des objets célestes artificiels, à la fois enjeux et effecteurs de l’action conflictuelle, et l’évolution des capacités technologiques de suivi de la situation spatiale comme d’évitement de cette détection remplacent la dialectique terrestre de l’épée et du bouclier (agression-défense) par une dialectique entre l’œil et le masque (détection-furtivité). En reprenant l’image de nos nageurs, on pourrait les imaginer avec leurs sabres et mousquets cachés sous l’eau, l’un pirate avec un œil de verre, ex-pêcheur, l’autre Royal Marine (un soldat entraîné) déguisé en marchand.

Enfin, l’espace est « vital » pour tous. Un grand nombre d’activités terrestres et, dans certains cas, la survie même des acteurs, voire des sociétés, dépendent des services offerts par le spatial : quotidiennement, 47 satellites en moyenne sont sollicités pour répondre aux besoins d’un Occidental. C’est vrai pour les capacités militaires, et en particulier nucléaires. Nos deux nageurs se disputeraient la seule planche flottant à des milles à la ronde après le naufrage de leurs deux navires respectifs.

À propos de l'auteur

Paul Demange

Chef d’escadron, stagiaire à l’École de guerre, 28e promotion.

À propos de l'auteur

Frédéric Bodilis

Chef d’escadron, stagiaire à l’École de guerre, 28e promotion.

À propos de l'auteur

Joseph Piot

Chef d’escadron, stagiaire à l’École de guerre, 28e promotion.

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