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« La France assume sa vocation de puissance d’équilibre »

Nous assistons ces dernières années à une dégradation du contexte international : durcissement de la compétition entre grandes puissances et, de fait, remise en question du multilatéralisme et du droit, enhardissement et désinhibition de certaines puissances régionales, multiplication des foyers de crise et son corollaire l’augmentation des flux migratoires, expansion de la menace terroriste. Pour éviter de la subir, nous devons envisager cette tendance de fond à l’aune des opportunités qu’elle nous offre pour défendre les intérêts stratégiques de la France et de l’Europe.

Dans ce contexte, la France assume sa vocation de puissance d’équilibre. Présente sur tous les continents, puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, membre fondateur de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne, elle promeut un ordre international fondé sur le droit et le respect de la dignité humaine. Nouant des alliances et des partenariats avec les pays qui partagent ses valeurs, ses intérêts stratégiques ou sa vision du monde, elle soutient l’ambition d’une autonomie stratégique européenne.

Réaffirmer la contribution des armées

Les armées sont au cœur du dispositif national de défense et de sécurité de nos citoyens, de notre territoire et de nos institutions, articulé autour des cinq fonctions stratégiques. Elles défendent nos intérêts souverains partout dans le monde, s’appuyant sur les forces d’outre-mer et celles prépositionnées dans des pays partenaires. La force militaire est l’un des éléments indispensables de la politique de puissance et d’influence internationale de la France. Face aux évolutions de la conflictualité, il est impératif de développer une appréhension plus stratégique. Les interventions militaires récentes nous montrent qu’il est nécessaire de repenser en permanence leur rôle et leur nature. C’est particulièrement vrai en gestion de crise, où nous devons être extrêmement attentifs à l’ampleur, à la durée et aux objectifs retenus, pour conserver notre liberté d’action, au moment où nos compétiteurs jouent de plus en plus un rôle perturbateur.

Compétition-contestation-affrontement : gagner la guerre avant la guerre

Au continuum paix/crise/guerre qui prévalait comme grille de lecture du monde depuis la fin de la guerre froide, il faut désormais substituer le triptyque compétition/contestation/affrontement. C’est à la lumière de ces trois notions, étroitement intriquées, que nous devons envisager et préparer notre stratégie militaire.

La compétition est aujourd’hui le mode normal d’expression de la puissance. Elle correspond de fait à une « guerre avant la guerre » et se déroule dans tous les domaines : diplomatique, informationnel, militaire, économique, juridique, technologique, industriel et culturel. Dans les espaces communs, par nature faiblement réglementés et contrôlés, et de fait propices à des prises de position agressives, cette compétition tend à se dérouler de façon exacerbée.

Dans un contexte de compétition, les armées permettent à la France de signifier sa détermination, dans le cadre d’une stratégie globale cohérente. L’enjeu central est de gagner la « guerre avant la guerre », en agissant en tant que de besoin dans l’ensemble des champs et des milieux. Pour les armées, assumer ce rôle implique notamment de contribuer à la connaissance des capacités et des intentions des différents compétiteurs et de proposer en permanence des options militaires pertinentes au décideur politique. Toutes nos actions participent de la signification de notre détermination : interactions avec certains de nos compétiteurs et avec nos adversaires (déploiements opérationnels, police du ciel, détection sous-marine, etc.) comme activités de préparation opérationnelle, à titre national ou avec nos alliés et partenaires.

Lorsqu’un acteur décide de transgresser les règles communément admises, la compétition se transforme en contestation. On se situe alors dans la guerre « juste avant » la guerre. Dans ce mode de rapport de force, les armées doivent contribuer à lever l’incertitude en caractérisant les intentions de nos compétiteurs. Elles doivent surtout empêcher l’imposition d’un fait accompli et s’appuient pour cela sur une très grande réactivité.

Lorsqu’un acteur, décidant de pousser son avantage et recourant à la force pour atteindre ses objectifs, provoque une réaction d’un niveau au moins équivalent, l’affrontement – la guerre – intervient. Il peut se dérouler dans tout ou partie des espaces de conflictualité, en fonction des capacités des protagonistes. L’objectif premier de l’affrontement est de soumettre l’adversaire à ses propres exigences, en particulier en sapant sa volonté. Les armées doivent être en mesure de détecter les signaux faibles qui permettent d’anticiper la bascule vers l’affrontement.

Apprendre à maîtriser les stratégies hybrides

L’extension et la multiplication des terrains de confrontation ces dernières années se sont révélées propices à la mise en œuvre de stratégies hybrides et de contournement. Ces stratégies combinent des modes d’action militaires et non militaires, directs et indirects, réguliers ou irréguliers, souvent difficiles à attribuer, mais toujours conçus pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert. Elles peuvent aller jusqu’à chercher l’affaiblissement interne du pays ciblé, en s’attaquant à sa cohésion nationale. Nos compétiteurs, nos adversaires et nos ennemis ont volontiers recours aux stratégies hybrides, nous devons donc être capables de les contrer. Au-delà, il nous faut apprendre à maîtriser ces stratégies, dans le respect des principes qui fondent nos actions.

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