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La mue vers la haute intensité du XXIe siècle

La période actuelle est caractérisée par le retour d’un rapport de puissance entre États. La conflictualité potentielle qui en découle induit la possibilité d’un affrontement face à des adversaires à parité ou quasi-­parité, ce qui signifie concrètement, pour la composante terrestre, la fin de la supériorité tactique et technique incontestée qu’elle avait sur l’ennemi asymétrique du début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui.

Cette conflictualité pourrait se manifester dans de nouveaux champs géographiques (Arctique, Europe) qui ont leurs contraintes propres, différentes des conditions désertiques connues ces vingt dernières années (froid extrême, terrain cloisonné, nombreux cours d’eau). Est-ce à dire qu’il faille opérer un retour aux schémas tactiques des années de guerre froide ? S’il faut en effet redécouvrir des savoir-­faire en sommeil, cela est vrai en partie seulement. Ce qui ne change pas, c’est que la haute intensité opposera des adversaires structurés, en unités tactiques cohérentes, manœuvrant pour atteindre des objectifs.

Mais il s’agit d’adapter ces savoir-­faire à des conditions nouvelles. En effet, d’autres capacités émergent, qui changent la donne : les drones, la cinquième dimension (5D, c’est-à‑dire cyber, numérique, guerre électronique, données, systèmes d’information et de commandement). Par ailleurs, le combat futur aura lieu plus que jamais en localité et sera soumis à un risque d’hybridité qui oblige à revoir les manœuvres dans tous les champs. Le champ des perceptions, notamment, prend de l’ampleur du fait des nouveaux enjeux et des nouvelles possibilités de manœuvrer dans cet espace (perceptions des soldats engagés, des populations dans les zones d’engagement, des opinions publiques).

Pour autant, nos opérations du moment restent exigeantes et nécessitent également de consacrer des ressources et du temps à leur préparation. Malgré les décroissances et fermetures de théâtres d’opérations, les forces terrestres restent engagées massivement, tant à l’étranger que sur le territoire national. Aussi s’agit-il bien pour l’armée de Terre d’être au rendez-vous des opérations du moment, tout en préparant les affrontements de demain. Dit autrement, trouver un équilibre entre se préparer à la guerre en général et se préparer à une guerre particulière.

Pour cela, le commandement des forces terrestres, chargé de l’entraînement, de l’organisation et de la préparation des forces terrestres, prend les mesures de son niveau afin d’adapter les structures et les processus aux nouvelles exigences opérationnelles. Le niveau divisionnaire, en particulier, est en cours de montée en puissance. Surtout, un effort spécifique sur le durcissement de l’entraînement est mené par les forces terrestres.

Des adaptations de processus et de structures

L’adaptation des forces terrestres à ce nouveau contexte passe d’abord par des évolutions structurelles et procédurales. C’est dans cette logique qu’a été menée la rénovation de la composante terrestre de l’Échelon national d’urgence (ENU), qui constitue la capacité de la France à s’opposer à des stratégies du fait accompli, par la projection en des délais très courts (de quelques heures à quelques jours, selon les modules) d’une force robuste. Alors que la composition des unités de ce dispositif d’alerte reposait auparavant sur un critère essentiellement organique, et donc variable selon les rotations des brigades, l’armée de Terre adopte à présent une approche en termes de capacités. La brigade d’alerte ENU comprend désormais en permanence l’ensemble du spectre des moyens et des dispositifs de commandement associés. Ce vivier, employable en tout ou partie, fait l’objet d’un cycle de montée en puissance et de contrôle opérationnel robuste, garantissant vis-à‑vis de l’autorité d’emploi (l’état-­major des armées) une pleine et permanente capacité opérationnelle, pour toute situation d’urgence.

Un engagement majeur face à un adversaire à parité ne peut se concevoir, à l’heure actuelle, que dans le cadre de l’Alliance ou d’une coalition ad hoc : un engagement purement national ne permettrait probablement pas d’atteindre la masse nécessaire pour une action coercitive dans la durée. Les capacités de projection de masse et l’interopérabilité avec les partenaires de la France revêtent donc une importance croissante qu’il importe d’entraîner régulièrement : par des exercices de postes de commandement communs (comme dernièrement l’exercice « Warfighter » aux États-­Unis) et par des exercices avec troupes déployées. Prenant toute sa part aux dispositifs d’alerte de l’OTAN (1), l’armée de Terre participera en 2022 à la série d’exercices « Brilliant Jump » et « Cold Response », en Norvège. L’enjeu dans ce domaine est moins de rechercher une intégration aux petits niveaux tactiques, qui pourrait même être contre-­productive, que de développer la connaissance des capacités réciproques afin d’en garantir un emploi optimal et complémentaire dès la phase de planification d’une opération.

Montée en puissance du niveau divisionnaire

L’enjeu d’un engagement de haute intensité réside à présent dans la réadaptation à des problématiques de flux, de masse et de saturation dans tous les champs de la manœuvre terrestre, ce qui se manifeste par une complexité qu’il s’agit de maîtriser en vue de permettre la prise de décision et la capacité à manœuvrer pour atteindre les objectifs militaires de l’opération. C’est le rôle dévolu au niveau de commandement divisionnaire, en pleine remontée en puissance. Ce système est constitué du poste de commandement de la division, chargé de coordonner la manœuvre terrestre ; de ses brigades interarmes subordonnées, françaises ou alliées, chargées du combat de contact ; et de ses éléments organiques divisionnaires, qui sont les moyens propres de la division pour mener des actions de son niveau.

Ces unités sont insérées dans des chaînes techniques qu’il s’agit de consolider et de coordonner (avec une cohérence à tous les niveaux de commandement). Elles répondent à une logique de métier ou de milieu : la deuxième dimension (2D) pour les moyens concourant à l’insertion dans le milieu terrestre (génie, NRBC, appui au mouvement) ; la troisième dimension (3D) pour la basse couche aérienne, indissociable du dispositif au sol et dans laquelle la composante terrestre est dominante (feux d’artillerie dans la profondeur du dispositif adverse, drones employés de façon exponentielle qui vont à l’avenir saturer l’espace de bataille, hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de Terre) ; enfin, la cinquième dimension (5D), qui représente l’espace cyberélectromagnétique. Ce dernier espace représente la vraie nouveauté et est amené à prendre une importance croissante compte tenu des évolutions technologiques qui en font un champ de confrontation à part entière.

Le renseignement représente un enjeu majeur d’une action divisionnaire : au-delà des aspects techniques (imagerie drone ou satellite, électromagnétique), c’est le renseignement de contact qui permettra aux chefs de tout niveau de déceler le dispositif et de percer les intentions d’un adversaire manœuvrant en unités constituées et à rythme élevé. C’est la raison pour laquelle les forces terrestres se réapproprient les savoir-­faire en ce sens, par la constitution de sous-groupements de renseignement de contact au niveau brigade et, à terme, de bataillons de reconnaissance divisionnaire.

Toutes ces chaînes présentent donc des enjeux particuliers : équipement à adapter, ressource humaine à qualifier et à structurer, processus techniques et de commandement à élaborer ou à redécouvrir. Le Commandement des forces terrestres (CFT) coordonne, en liaison avec l’état-­major de l’armée de Terre, la convergence de ces évolutions et organise à ce titre l’exercice « Orion 2023 » (2), qui sera le premier point d’étape, à grande échelle, de cette ambition que se fixe l’armée de Terre.

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