Magazine Moyen-Orient

Les États tampons au temps des Assyriens

L’impérialisme des grands États du Proche-Orient a commencé à se manifester au troisième millénaire avant Jésus-Christ, mais l’Empire assyrien a été véritablement fondé par le roi Tiglath-phalazar III (745-727). L’histoire de cet empire s’étend de 745 à 610, jusqu’à sa chute brutale difficile à expliquer et à son remplacement par l’Empire babylonien. Ainsi, le centre du pouvoir s’est déplacé de l’Assyrie, dans le nord de l’Irak actuel, jusqu’à la Babylonie, dans le sud.

L’Empire assyrien est le premier empire universel connu, c’est-à-dire aussi vaste, centralisé et structuré. C’était un État expansionniste, emporté par le mécanisme des conquêtes pour annexer les « quatre régions du monde », selon l’expression assyrienne, et le roi d’Assyrie se disait « roi du monde ». Les États conquis, qui constituaient la base de son système politique, étaient opprimés par le poids croissant de son administration.

Le centre de l’Empire assyrien était situé dans le nord de l’Irak, en Assyrie, dont la principale capitale était Ninive (actuelle Mossoul, cf. carte p. 89). D’autres cités ont aussi joué successivement le rôle de capitales, comme Aššur, Nimrud et Khorsabad selon le choix des différents souverains. Ces rois guerriers avaient une déplorable réputation de férocité à l’égard de leurs ennemis, dont la Bible est en partie responsable, car elle considérait le roi assyrien comme le bras armé de Yahvé, qui avait détruit le royaume d’Israël en punition de sa conduite idolâtre. Il est vrai que les inscriptions assyriennes décrivaient complaisamment les atrocités perpétrées, comme les peaux des ennemis écorchés tapissant les remparts des villes : l’objectif était de faire une guerre psychologique au sens moderne du terme, en impressionnant les habitants pour les obliger à se rendre. Mais les rois assyriens étaient aussi des bâtisseurs de somptueux palais et temples, des mécènes amis des arts, des gens cultivés qui ont fondé des bibliothèques et développé l’arithmétique et l’algèbre inventées par les Sumériens. Par exemple, même si c’est le calcul en base 10 venu des mathématiciens indiens qui a été adopté en Occident, ils sont à l’origine du calcul en base 6, qui n’a pas complètement disparu : 60 secondes dans une minute, 60 minutes dans une heure, une douzaine d’huîtres, etc.

Les rois assyriens étaient enfin des innovateurs, qui ont mis en place des canaux d’irrigation, des aqueducs et des jardins en plein désert.

Sennachérib (704-681), pour acheminer de l’eau en hauteur afin d’irriguer les terrasses supérieures de son palais, a inventé un système connu sous le nom de « vis d’Archimède ». Il est aussi à l’origine d’une nouvelle technique de coulage et d’alliage de métaux. Son petit-fils, le roi Assurbanipal (668-627), était un grand érudit, qui avait commencé l’apprentissage des disciplines des scribes, suivi ensuite les cours des principaux lettrés de la cour et s’était enfin initié à la politique et à l’art de gouverner en assistant aux audiences de son père, Assarhaddon (680-669). Sous son règne, les bibliothèques de Ninive ont connu un développement sans précédent.

Les États tampons dans l’histoire

Le système des États tampons était déjà développé dans l’Antiquité, en particulier dans l’Empire assyrien. Pourtant, le concept n’est apparu qu’au XVIIe siècle, dans la pensée stratégique et diplomatique européenne, comme une partie de la théorie de l’équilibre des pouvoirs. Il était lié à l’époque où les principales puissances européennes, comme la France, l’Espagne et le Portugal, établissaient leurs empires coloniaux sur les autres continents et mettaient en place un découpage géopolitique de leurs conquêtes. Par exemple, l’Afghanistan constituait un État tampon entre l’Empire russe, au nord, et les Britanniques, au sud. La manipulation de ses frontières et de celles des différents émirats d’Asie centrale avait pour enjeu le contrôle de l’accès aux passages montagneux menant aux Indes britanniques. De même, la création du Royaume-Uni des Pays-Bas en 1815 répondait au souhait de la Grande-Bretagne d’avoir un État tampon entre elle et la France afin que le port d’Anvers ne soit plus « un pistolet pointé vers le cœur de l’Angleterre », selon la menace de Napoléon Ier (1804-1814, mars-juin 1815). Encore de nos jours, il existe de par le monde des États tampons, comme le Népal et le Bhoutan entre l’Inde, au sud, et la Chine, au nord. On songera aussi que, si la Turquie entrait dans l’Union européenne (UE), elle ne jouerait plus le rôle d’État tampon, car l’Europe aurait alors une frontière commune avec l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech).

À propos de l'auteur

Josette Elayi

Historienne, chercheur honoraire au CNRS ; auteur de Histoire de la Phénicie (Perrin, 2013), de Sargon II, King of Assyria (SBL Press, 2017 ; non traduit) et de Sennacherib, King of Assyria (SBL Press, 2018 ; non traduit)

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