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MCO : la fin de la traversée du désert ?

L’approche « lean management » mise en œuvre dans le cadre de SO 4.0 commence à porter ses fruits. Sur les A400M, le temps nécessaire au changement d’un moteur a été divisé par deux et un gain de 10 % a été enregistré sur la durée de certains chantiers. Sur les Caracal, il s’agit d’un gain de 25 % sur le temps de formation du personnel mécanicien. Sur Rafale, le centre de formation des mécaniciens sera modernisé. Sur Mirage 2000D, un gain de productivité d’environ 6 % a été enregistré dans les ateliers moteurs. D’autres voies sont en cours d’expérimentation, comme une meilleure intégration de la planification logistique et de la planification des opérations de maintenance au sein même des ESTA. Un autre volet consiste à développer des synergies technico-­opérationnelles à tous les niveaux décisionnels. S’il est difficile d’en mesurer l’impact direct sur la disponibilité, ce croisement des cultures permet de renforcer l’esprit de corps, essentiel à la réussite des opérations.

Le métier de mécanicien doit aussi évoluer et monter en compétences en intégrant les technologies nouvelles. Il serait trop réducteur de laisser croire que les opérations de maintenance sur les bases aériennes se réduiront demain à des changements d’équipements. La recherche d’une panne et la réparation au plus près de l’action seront toujours nécessaires pour éviter tout simplement la saturation des ateliers industriels, le surdimensionnement des stocks et garantir la résilience des forces. Ces opérations de maintenance peuvent déjà se faire avec l’appui d’une assistance technique industrielle présente sur la base aérienne ou en visioconférence. Ce métier doit aussi s’ouvrir à de nouveaux espaces et intégrer les enjeux du combat multimilieux et multichamps. Par exemple, la gestion des données du MCO est la propriété de chaque armée et doit donc être davantage intégrée de manière à mieux piloter, maîtriser et valoriser l’environnement numérique. Ce qui sera mis en place progressivement sur Rafale servira ensuite au SCAF en limitant les risques de rupture.

Un grand écart entre les flottes

Du reste, si les structures et les procédures ont évolué, ces dernières s’appliquent à des flottes dont les potentiels sont variables, tout comme les difficultés générées par leur MCO. La modernisation, de ce point de vue, est un véritable enjeu. En effet, les appareils les plus anciens tendent ainsi à avoir des besoins de maintenance de plus en plus importants alors que, dans le même temps, trouver les pièces détachées nécessaires ou des expertises techniques peut devenir de plus en plus ardu. On se souvient ainsi du cas des C‑135FR/KC‑135. Si leur motorisation avait été remplacée dans les années 1980 par des réacteurs largement utilisés dans le civil, nombre d’autres pièces devaient être négociées avec les Américains, voire trouvées dans leurs dépôts en plein air. Véronique Sartini montrait également en quoi les contraintes de MCO avaient des implications opérationnelles directes. « En novembre 2011 – fort heureusement juste après l’opération “Harmattan” et avant “Serval” – un accident, lui aussi inattendu, avait fait frémir les équipages du groupe de ravitaillement en vol. Peu après son décollage, c’est un gros “boum” qui avait résonné dans la carlingue. La cloison séparant les réservoirs de carburant des compartiments pressurisés de l’avion s’était subitement déchirée, laissant le kérosène se répandre dans l’avion… “par fatigue !”. (5) »

Le vieillissement d’appareils ayant largement dépassé les 30 000 heures de vol impliquait une « surchauffe logistique ». En 2014, toutes les 50 heures de vol, les C‑135FR nécessitaient deux heures de maintenance, sachant qu’ils volaient en moyenne 15 heures par semaine. Toutes les 100 heures, une journée de maintenance était nécessaire et, toutes les 200 heures, deux jours de maintenance. La visite périodique des 400 heures, initialement de dix jours, a dû passer à 15 jours. S’y ajoutent 30 jours d’immobilisation tous les 30 mois et 120 jours tous les cinq ans. La combinaison de ces différentes phases est encore plus impressionnante : en moyenne, en 2014, à une heure de vol correspondaient 33 heures de maintenance, pour un coût annuel alors estimé à 60 millions d’euros. L’âge joue bien un rôle dans l’alourdissement du coût de la maintenance et la réduction de la disponibilité : en 2007, il ne fallait que 27 heures de maintenance par heure de vol.

L’apport de l’A330 Phénix, au-delà de ses capacités opérationnelles tout autres, se mesure aussi en allègement de contraintes sur le MCO. Neufs, les appareils sont toujours construits par Airbus et les pièces détachées d’A330 comme de leurs moteurs inondent des marchés civils où ils sont nombreux – bien plus que les B‑767 servant de plate-­forme au KC‑46 américain par exemple –, sachant qu’en prime l’appareil devient un standard de référence en Europe pour le ravitaillement. Du reste, l’A330 avait été conçu pour une utilisation intensive et réduisant les besoins de maintenance entre les rotations. Au-delà, informatisation de l’appareil faisant, les remontées d’informations liées aux pannes sont d’autant plus simples et le retour d’expérience des utilisateurs civils est largement disponible. Les derniers C‑135FR/KC‑135 quitteront le service vers 2025 au terme d’une accélération de la cadence de livraison des MRTT.

Si l’exemple des C/KC‑135 est extrême, plusieurs autres flottes d’appareils anciens sont victimes de leur vieillissement. C’est le cas pour les Transall – NG ou Gabriel qui seront retirés du service de manière anticipée avant l’été 2022 – ou encore pour les Puma. Comme pour les ravitailleurs, se posent les problèmes des obsolescences et des normes de navigabilité – ce qui impose de faire évoluer les normes de maintenance –, mais des changements interviennent également dans les acteurs industriels de la maintenance eux-mêmes, au gré de l’évolution des entreprises et de leurs compétences et transmissions de savoir-faire… Qu’il s’agisse des A400M, des futurs Falcon Archange ou des Guépard, le fait de disposer de machines non seulement neuves, mais de conception récente devrait alléger la pression sur le MCO.

Notes

(1) La moitié des postes de fonctionnaires supprimés par la RGPP étaient des militaires.

(2) Réponse à la question écrite no 15768 de François Cornut-Gentille, du 21 mai 2019 (https://​questions​.assemblee​-nationale​.fr/​q​1​5​/​1​5​-​1​5​7​6​8​Q​E​.​htm). Les données des ravitailleurs en vol, comme celles des appareils liés à la dissuasion nucléaire, ne sont pas rendues publiques pour d’évidentes raisons.

(3) Voir notamment les articles que nous consacrions à sa réforme dans Défense & Sécurité Internationale no 57 (mars 2010) ; ses premiers résultats dans le hors-série no 37 (août-septembre 2014) puis dans le no 139 (janvier-février 2019).

(4) European military airworthiness requirements.

(5) Véronique Sartini, « Les avions ravitailleurs français hors d’âge. Alerte rouge ! », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 37, août-septembre 2014.

Légende de la photo en première page : Entretien d’un Caracal de l’escadron Pyrénées. Les nouvelles générations de systèmes sont généralement plus simples à entretenir. (© Morgane Valle/Armée de l’Air et de l’Espace/Défense)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°82, « Armée de l’Air et de l’Espace : les ailes françaises volent vers 2030 », Février-Mars 2022.
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