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Chine : 2022, l’année de tous les périls ?

Le ralentissement de la croissance économique amplifié par la politique « zéro Covid »

Si, au début de 2021, Xi Jinping pouvait fièrement rapporter que l’économie chinoise a finalement peu souffert des effets de la pandémie et a maintenu ses taux de croissance autour de 8 %, ce n’est plus le cas aujourd’hui (3). En réalité, les premiers signes inquiétants apparaissaient déjà en 2021 : les pénuries d’électricité qui forcent plusieurs usines chinoises à tourner au ralenti, la baisse significative de la consommation des ménages chinois, les difficultés du secteur immobilier amplifiées par les déboires du groupe Evergrande (4), la baisse de chiffre d’affaires des géants du numérique, Tencent et Alibaba, visés par une campagne régulationniste, l’échec des nouvelles politiques natalistes censé freiner la crise démographique, et la réduction des exportations faisant l’écho de la guerre commerciale avec les États-Unis sont autant de facteurs qui menacent les perspectives de l’économie chinoise.

Ce ralentissement de croissance n’est pourtant pas un phénomène nouveau : les autorités chinoises en parlent depuis une dizaine d’années en soulignant qu’il s’agit de la conséquence inévitable de la transformation du modèle de développement chinois et de son recentrage vers la consommation interne, les services, les innovations et les technologies vertes. Dans les prévisions officielles, la phase de croissance effrénée avoisinant en moyenne 10 % par an aurait dû progressivement céder la place au développement plus ralenti mais durable, avec des taux de croissance plus modestes, de 6 à 7 % par an (5). Or, en 2022, les taux de la croissance chinoise peinent à atteindre le niveau projeté, en partie à cause du rebond de la pandémie lié à la propagation du variant Omicron. Pourtant, la politique de zéro Covid, qui vise à empêcher le virus d’exister, a été initialement bien accueillie par la population traumatisée par le chaos des premières semaines de l’épidémie à Wuhan en 2019. De plus, les mesures de prévention renforcées avec toute la sévérité de la loi chinoise semblaient donner des résultats remarquables : depuis le début de l’épidémie, la Chine n’a enregistré que 14 600 morts de la Covid-19 alors que les États-Unis ont atteint le triste record d’un million de morts (6). Ce fait a été souligné à plusieurs reprises par les médias chinois mais aussi par Xi Jinping qui s’en est servi pour légitimer sa ligne politique et pour justifier ses choix économiques autoritaires. La recrudescence des cas de Covid à partir du mois de décembre 2021 a été donc traitée par les autorités non seulement comme une menace sanitaire mais aussi comme un enjeu politique. La stratégie du zéro Covid plébiscitée par Xi Jinping est devenue la « ligne juste » du PCC censée démontrer que le système socialiste chinois est supérieur aux autres modèles politiques, en particulier ceux proposés en Occident.

L’application des mesures alternatives n’est donc pas envisageable car un tel abandon pourrait remettre en cause le leadership de Xi Jinping et son image de dirigeant compétent qu’il cultive avec le plus grand soin depuis des années. Toutefois, cette fois-ci, la politique de zéro Covid est simultanément appliquée à plusieurs mégapoles qui jouent le rôle de locomotives pour l’ensemble de l’économie chinoise, si bien qu’en mai presque un tiers de la population chinoise — 400 millions de personnes — s’est retrouvé visé par toutes sortes de mesures coercitives (7). Étant donné la haute contagiosité d’Omicron et le faible taux de vaccination des plus de 60 ans, les pratiques de prévention se sont durcies à tel point qu’on a inventé un nouveau terme pour les désigner : « l’isolement dur » (硬隔离). Les mises en quarantaine massives, le dépistage quotidien de centaines de millions de personnes et la croissance des dépenses liées au maintien des restrictions sanitaires à l’échelle nationale ont un coût économique qui est difficile à mesurer faute de données statistiques fiables. En parallèle, l’arrêt de la production dans de nombreuses usines, la paralysie de chaînes d’approvisionnement, le ralentissement des importations et des exportations ainsi que la baisse des investissements étrangers, alourdissent la facture déjà assez lourde de la politique du zéro Covid. Le nombre de faillites de PME, premières victimes des restrictions sanitaires, en croissance constante depuis 2021, risque d’atteindre des proportions dangereuses en 2022. La consommation interne, déjà en chute libre, va continuer à reculer, à moins que les autorités modifient les paramètres de leur programme de relance Covid, qui ne propose le soutien financier qu’aux entreprises en laissant les ménages chinois seuls face à la crise. L’augmentation du chômage et du coût de la vie amplifient le ras-le-bol général de la population de plus en en plus lasse du discours officiel sur sa résilience et son esprit de sacrifice. La multiplication des altercations violentes entre les forces de l’ordre et les habitants confinés, les protestations spontanées et les critiques virulentes des actions du gouvernement sur les réseaux sociaux tirent une sonnette d’alarme que Xi Jinping et autres hauts dirigeants chinois ne peuvent pas ignorer.

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