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Quel espoir pour les femmes iraniennes ?

La parade de la tête décapitée d’une jeune femme par son mari dans les rues de la ville d’Ahvaz, dans le Sud de la République islamique, en février 2022, en a ému plus d’un en Iran. La tragédie de Ghazal (Mona), assassinée à 17 ans au nom des traditions et de l’honneur de son mari, réunit à elle seule un cas de mariage précoce, forcé et de féminicide. Elle fut contrainte de se marier à l’âge de 12 ans avec son cousin germain, puis de donner naissance à un garçon aujourd’hui âgé de 3 ans et désormais orphelin. Certes, il ne s’agit pas du premier cas, ni hélas du dernier, comme en témoigne l’assassinat par son père de Romina, âgée de 14 ans, dans le Nord du pays, en mai 2020, ou encore de nombreuses autres femmes qui subissent le féminicide et d’autres formes de violence pour avoir refusé d’obéir aux desiderata de leurs époux, père ou frère. Pourtant, aucune loi ne protège les femmes et très peu de refuges existent pour accueillir les femmes violentées. En réalité, les lois en vigueur en Iran, notamment les codes civil et pénal, alimentent la violence des hommes contre les femmes. Selon l’article 220 du code pénal, si un enfant est tué par son père ou son grand-père paternel, le meurtrier ne paiera que le prix du sang aux héritiers de l’enfant et pourra, sur décision du tribunal, être emprisonné pour une courte période. Pourtant, le régime islamique est signataire de la convention internationale des droits de l’enfant.

La déception des mandats de Rohani

L’article 1105 du code civil oblige la femme à obéir (tamkin) à son époux (y compris ses exigences sexuelles). C’était dans l’espoir d’un changement de ces lois discriminatoires que les femmes ont voté pour Hassan Rohani en 2013, puis pour sa réélection en 2017. Pourtant, Rohani tout comme Mohammad Khatami (1997-2005) a trahi leur confiance et leurs espoirs. Pendant ses mandats, aucune loi n’a été promulguée en faveur des droits des femmes. La motion de protection des femmes contre la violence a fait la navette, pendant huit ans, entre le gouvernement, le Parlement, le Conseil de surveillance (habilité à examiner la compatibilité des lois avec l’islam) et les ayatollahs de Qom. Finalement, après beaucoup de tergiversations et peu de temps avant la fin de son mandat, le gouvernement de Rohani l’a adoptée en février 2021, avant de l’envoyer au Parlement islamique, qui ne l’a toujours pas mis à l’ordre du jour. Quant aux ayatollahs, ils pensent que cette motion ne correspond ni aux critères nationaux, ni au dogme islamique.

Face aux cas de féminicides, Mohamad Reza Zibai Nezhad, directeur du Centre de recherche sur les femmes et la famille à Téhéran, a déclaré : « Si l’on prépare les femmes à accepter le pouvoir et l’autorité de l’homme, il n’y aura plus aucune violence à déplorer » (1).

Un changement en marche dans une société devenue moderne

Malgré ce carcan, les femmes ont continué à désobéir au pouvoir patriarcal, à ses lois et à ses institutions, parfois au péril de leur vie, car ils ne correspondent pas à la réalité d’une société devenue moderne : plus de 75 % de ses 83 millions d’habitants sont des citadins. Le taux de croissance annuel moyen de la population entre 2011 et 2016 était de 1,24 contre 3,8 en 1988. De même, 92 % des familles étaient nucléaires, c’est-à-dire ne regroupant que les parents et les enfants sans la famille élargie. L’étendue et la profondeur du changement social ont eu un impact sur les comportements individuels et collectifs des femmes avec notamment une meilleure éducation, l’augmentation de l’âge du premier mariage (24 ans), et un accroissement de l’accès à l’emploi salarié. Le taux d’alphabétisation des femmes a augmenté pour atteindre 84 % en 2016 et 92 % pour les groupes d’âge de 6 à 49 ans. Aujourd’hui, la majorité des presque quatre millions d’étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur sont des femmes. L’un des résultats de ces facteurs combinés à la crise économique a été la baisse du taux de fécondité à 1,6 aujourd’hui.

L’enjeu démographique comme frein à l’émancipation

Cependant, les transformations démographiques et sociales du pays sont remises en cause par les conservateurs, menés par le Guide suprême, Ali Khamenei, pour qui les femmes sont avant tout des mères et des épouses. Visant à doubler la population, le Guide a sommé le gouvernement de Rohani de mettre fin au planning familial, appliqué depuis 1989. La distribution gratuite de contraceptifs dans les cliniques urbaines et les dispensaires ruraux a été interdite en 2015, exposant les femmes pauvres au risque de grossesses non désirées. La stérilisation volontaire féminine et masculine est criminalisée et les médecins qui la pratiquent sont passibles d’emprisonnement. Malgré tout, ces injonctions n’ont pas réussi à emporter l’adhésion des femmes, comme l’illustre la baisse constante du nombre des naissances. Entre 2018 et 2019, on compte ainsi 170 000 naissances de moins. Le centre de recherche du Parlement islamique indique dans son rapport que selon les données fournies par le registre civil, il y a eu 1 196 135 naissances en 2019, le chiffre le plus bas au cours de la dernière décennie. Ce chiffre montre une diminution de 12 % par rapport à 2018 et de 22 % par rapport à 2014 (2).

Des libertés restreintes et des valeurs imposées

Sous la présidence d’Ebrahim Raïssi, ancien chef du système judiciaire, désigné par le Guide et soutenu par lui et les ultraconservateurs, les libertés individuelles et collectives des femmes sont davantage restreintes et des valeurs conservatrices et religieuses continuent à être imposées à la société. Répression de toutes activités protestataires et collectives des femmes, emprisonnement ou prolongation des peines d’emprisonnement des militantes des droits des femmes (au moins 35 militantes féministes sont en prison actuellement), une politique de confinement des femmes à la domesticité ou encore l’encouragement du mariage précoce sont quelques-unes des conséquences de sa présidence. Selon le Centre national iranien des statistiques, il y a eu, en 2021, 31 379 cas de mariages de filles âgées de 10 à 14 ans, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente (3). La pauvreté, dont le taux a augmenté, reste la principale raison du mariage précoce. Selon le ministère du Travail, 33 millions d’Iraniens (soit 40 %) vivent sous le seuil de pauvreté. L’organisation de la protection sociale a déclaré que 17 % des mariages ont lieu avant l’âge de 18 ans et 5 % des femmes qui se sont mariées avaient moins de 15 ans. Pour encourager les jeunes à se marier tôt et à avoir des enfants, l’État accorde 100 millions de tomans (l’équivalent de cinq années de salaire minimum) à chaque mariage précoce.

À propos de l'auteur

Azadeh Kian

Professeure de sociologie, directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (CEDREF), Université de Paris.

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