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Balkans : vingt ans après la guerre de Yougoslavie, où en est la poudrière de l’Europe ?

Il faut savoir que dans l’ensemble des pays de la région, même s’il y a un changement de pouvoir, les systèmes de captation d’État qui sont mis en œuvre par les élites font qu’il est extrêmement difficile de changer le système du régime et de transformer démocratiquement le pays. Cela prend beaucoup de temps. Il faut donc voir comment vont évoluer les choses dans des pays comme le Monténégro ou la Macédoine du Nord, où les gouvernements actuels sont favorables à l’UE. Car, à force d’être rejetées, les forces politiques qui ne sont pas profondément pro-européenne peuvent reprendre pied.

Parallèlement, quel est le bilan de l’intégration des pays des Balkans ayant déjà intégré l’UE, à savoir la Slovénie et la Croatie ?

L’adhésion à l’UE n’est pas la panacée. Adhérer à l’UE n’est pas la solution à tous les problèmes. C’est un objectif, mais il ne prime pas sur d’autres objectifs. C’est davantage une méthode.

Pour prendre l’exemple de la Croatie, nous avons pu observer une progression économique importante. Mais elle s’est accompagnée d’une progression des inégalités avec une précarisation du travail. Nous assistons par ailleurs à une émigration qui a triplé depuis l’adhésion. Nous observons également une difficulté des organisations de la société civile à maintenir leur influence. En effet, une fois que le pays a intégré l’UE, ces organisations voient leurs fonds considérablement diminuer. Cela entraîne une fragilisation de ce vivier dans un contexte où le processus d’adhésion renforce de fait l’exécutif vis-à-vis des autres pouvoirs. Nous avons pu observer qu’il y a une concentration des pouvoirs qui s’opère avec le processus d’adhésion. Cela ne va pas nécessairement de pair avec une démocratisation apaisée et enracinée de ces pays.

Tout cela s’observe très clairement en Croatie où, malgré les progrès économiques depuis l’adhésion, aucun travail n’a été fait sur le passé. Aucun processus de réconciliation n’a été entamé dans la région. Un fort sentiment nationaliste s’est développé dans le pays et l’adhésion n’a pas contribué à le faire diminuer. Il faut savoir que la Croatie s’ingère volontiers dans les affaires de la Bosnie-Herzégovine et promeut une vision extrêmement nationaliste de l’organisation de l’État.

L’adhésion à l’UE reste donc un objectif important mais il ne faut pas que l’arbre de l’adhésion européenne dissimule la forêt des autres objectifs stratégiques beaucoup plus importants qui sont ceux liés à la démocratisation, à la transformation et à une vision plus participative de la société dans la gouvernance des États.

Les populations slovène et croate sont-elles heureuses de leur intégration à l’UE ?

Cela ne fait aucun doute. D’une part pour une question de statut, car devenir membre de l’UE, ce n’est pas la même chose que d’être candidat. Il y a aussi des raisons liées à l’accès aux fonds structurels de cohésion de l’UE qui sont massifs. Par ailleurs, être membre de l’UE permet de multilatéraliser un certain nombre de questions qui sont importantes dans la politique étrangère de ces « petits pays ». Lorsqu’un État membre a un problème avec un voisin, le fait d’être membre de l’UE permet de multilatéraliser le problème et d’accroître l’asymétrie de pouvoir vis-à-vis du pays non-membre, ce qui constitue une déviance du système. Ce sont des avantages très concrets pour la Slovénie et la Croatie, et ces pays ne manquent pas de les utiliser. Enfin, le fait d’être membre de l’UE assure une forme d’attractivité économique, grâce à la garantie d’une stabilité du droit qui favorise les investissements. Mais cela a un certain coût pour des pays qui pouvaient avoir un système social relativement développé et qui ont dû faire des efforts pour libéraliser les investissements et accroître la compétitivité. Il y a donc aussi eu des perdants lors de l’adhésion à l’UE, tout comme il y a eu des perdants dans la mondialisation.

À propos de l'auteur

Florent Marciacq

Co-directeur de l’Observatoire des Balkans à la Fondation Jean-Jaurès (Paris), chercheur au Centre international de formation européenne (CIFE) et secrétaire général adjoint et chercheur associé au Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe.

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