D’où vient la ‘Ndrangheta ? Quelles sont ses origines ?
A. Talia : La ‘Ndrangheta est originaire de la Calabre, une région du Sud de l’Italie qui est l’une des plus pauvres de l’Union européenne. Les origines de cette organisation criminelle sont pour le moins mystérieuses et ses membres cherchent à entretenir ce mystère. La plus commune des explications, qui est également la plus probable, veut que le terme de « ‘Ndrangheta » vienne d’un mot issu d’un ancien dialecte grec, « andraghatos », qui signifie « l’homme courageux ». Ce terme désignait à l’origine des milices secrètes, opérant dans des villages de Calabre. À l’époque, chaque village était décomposé en deux : l’un face à la mer et l’autre dans la montagne. Aux XVIe et XVIIe siècles, cette région attirait beaucoup les pirates méditerranéens. La constitution de milices était un moyen pour la population de défendre son territoire. Si ces milices ne pouvaient pas gagner frontalement face aux pirates, elles connaissaient en revanche très bien les montagnes de Calabre, situées près de la mer. Puis, avec le temps, ces milices sont devenues des organisations criminelles.
Que pense la population calabraise de la ‘Ndrangheta aujourd’hui ?
Pendant de nombreuses années, la population calabraise n’a pas cherché à intervenir sur la question mafieuse. Au contraire, elle tolérait son existence. Comme toute organisation mafieuse, la ‘Ndrangheta donne du travail à la population locale, et cherche à fournir des services que l’État ne peut plus assurer. Ceci peut expliquer cette forme de tolérance à l’égard de la ‘Ndrangheta, du moins dans une partie de la population.
Mais ces quinze dernières années, la situation a évolué. Les associations anti-‘Ndrangheta sont de plus en plus nombreuses, en particulier dans certaines zones de Calabre. Ces personnes ont compris que la ‘Ndrangheta n’est pas la solution pour répondre au sous-développement de la région. C’est, au contraire, l’un des problèmes, si ce n’est le problème majeur. Les phénomènes de résistance face à la mafia sont de plus en plus nombreux et la confiscation des biens appartenant à des membres de la mafia est notamment un système qui fonctionne extrêmement bien.
La résistance face à la ‘Ndrangheta est-elle apparue plus tard en Calabre que dans les autres régions d’Italie où la mafia est également présente, comme en Sicile avec la Cosa Nostra, ou dans la région de Naples avec la Camorra ?
Effectivement, il a fallu davantage de temps pour que cette résistance apparaisse en Calabre. Il faut bien comprendre que la ‘Ndrangheta est une organisation secrète dans le vrai sens du terme. Ses membres cherchent toujours à opérer en secret, sans se faire remarquer. Ainsi, pendant de nombreuses années, la ‘Ndrangheta était surtout vue comme une mafia agricole, sous-développée, etc. Mais depuis une dizaine d’années, des procès sont venus démontrer que la ‘Ndrangheta possède au contraire une organisation très sophistiquée, puissante et qui s’est fortement diffusée dans le monde. Face à ces révélations, la population italienne dans son ensemble, ainsi que les autorités du pays, ont alors réalisé qu’ils avaient largement sous-estimé la puissance de la ‘Ndrangheta.
Justement, votre ouvrage a pour sous-titre « Sur les routes de la mafia la plus puissante du monde ». La ‘Ndrangheta est-elle réellement devenue la plus puissante du monde ? Comment expliquer cette évolution, alors qu’elle vient de la région la plus pauvre d’Italie et d’Europe ?
Nous pourrions en effet penser que le fait qu’elle vienne d’une région pauvre soit contradictoire avec sa puissance. Mais cela s’explique facilement. Les Calabrais sont un peuple d’émigrés depuis de nombreuses générations. Grâce aux nombreux Calabrais qui se sont installés ailleurs en Italie et dans le reste du monde — au Canada, en Australie, en Allemagne ou même en France —, certains membres de la ‘Ndrangheta ont pu développer un réseau international. Un réseau qui a permis par la suite de développer la « puissance » actuelle de cette organisation criminelle.