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Le futur sera-t-il quantique ?

Quelles sont les principales applications envisageables des technologies quantiques et de l’informatique quantique en particulier ?

Les applications potentielles des ordinateurs quantiques sont très larges. Ces derniers peuvent être utilisés pour faire de l’optimisation, par exemple dans le domaine de la finance, ou accélérer des simulations utilisant des méthodes probabilistes comme celle de Monte-Carlo. Dans le domaine de l’intelligence artificielle, il est envisagé de les utiliser pour améliorer la précision des modèles de machine learning. Ils permettraient également de faire de la modélisation de processus physiques, appliqués en particulier à la chimie, afin de mieux comprendre la dynamique des réactions chimiques. Ceci permettrait notamment d’optimiser les processus de certaines réactions chimiques notamment en matière de consommation d’énergie. De façon plus générale, l’informatique quantique est tout indiquée pour résoudre des problèmes complexes dont la combinatoire rend le calcul par des moyens classiques inaccessible aujourd’hui. Attention cependant : l’informatique quantique ne se substituera pas à l’informatique classique. Elle nécessite des algorithmes spécifiques conçus pour un problème donné et elle ne pourra pas résoudre tous les problèmes. En particulier, le traitement des grandes masses de données (big data) restera difficile tant que les machines LSQ ne seront pas disponibles.

Les machines quantiques peuvent également être utilisées comme simulateurs analogiques, à la suite de l’idée originale de Feynman. Il s’agit en l’occurrence de recréer à travers un ordinateur quantique l’avatar d’un système complexe, un matériau par exemple, dont on pourrait étudier le comportement directement, en particulier l’interaction de ses différents électrons. Les perspectives dans le domaine de la biologie et de la santé, ou dans la recherche sur les matériaux, sont immenses. Nous commençons seulement à avoir des machines capables de simuler des systèmes simples.

Une application très particulière de l’informatique quantique reste celle de la cryptographie. Comme je l’ai évoqué, l’algorithme de Shor permet de ramener le temps de factorisation des grands entiers, utilisé dans la cryptographie à clé publique, à un temps polynomial vs un temps exponentiel. Cette possibilité met en péril la sécurité des communications classiques et l’intégrité des documents. En particulier, la signature électronique est de plus en plus utilisée pour signer des documents qui durent de nombreuses années, soixante ans par exemple. Grâce à un ordinateur quantique, on pourrait très bien forger un nouveau document — par exemple changer une clause de responsabilité ou de remboursement dans un contrat de garantie — et être capable de générer une nouvelle signature valide. Pour les communications, le problème est moins prégnant car les secrets perdent généralement leur valeur très rapidement. Cependant, pour des communications gouvernementales, la captation de tous les flux de communication dès maintenant et leur déchiffrement lorsque l’ordinateur quantique capable d’implémenter l’algorithme de Shor sera disponible est une menace sérieuse. Les technologies quantiques peuvent néanmoins participer à la sécurisation des informations échangées. Certains protocoles permettent en effet de détecter le fait qu’une personne essaie de capter le flux d’information et d’estimer la quantité d’information que la personne a pu obtenir. À partir de là, on peut utiliser un schéma de dilution d’information qui garantit la préservation du secret même si l’attaquant parvient à obtenir la clé de chiffrement par la suite.

En parallèle, le National Institute of Standards and Technology (NIST) américain a commencé dès 2016 à travailler sur des technologies remplaçant les systèmes cryptographiques actuels afin de disposer de méthodes qui résisteront dans le futur à des attaques par ordinateur quantique. Ce point est très intéressant : alors qu’on ne dispose pas encore de la machine qui cassera les clés, on sait qu’elle a déjà une influence palpable sur les systèmes de chiffrement et on cherche dès maintenant à définir de nouveaux standards. On voit dans ce cas précis l’impact majeur d’une technologie qui n’existe pas encore, et qui pourtant constitue déjà un game changer pour les gens qui font de la cryptographie classique.

Pour terminer ce tour d’horizon, qui n’est pas exhaustif, on peut encore évoquer l’utilisation de la communication quantique pour sécuriser le calcul quantique, ou bien pour sa capacité potentielle à obtenir des consensus décentralisés comme dans une blockchain. Les principes de la mécanique quantique sont également utilisés pour concevoir des capteurs qui permettent d’avoir de meilleures précisions, en biologie notamment.

La recherche dans les technologies quantiques fait l’objet d’une concurrence internationale féroce. Quels sont les pays en pointe dans ce domaine, et la France est-elle bien positionnée dans cette compétition ? 

Les grands pays en pointe dans la recherche sur les technologies quantiques sont les États-Unis et le Canada. J’ai fait ma thèse au début des années 2000 à l’INRIA et au Los Alamos National Laboratory. À l’époque, plusieurs centaines de millions d’euros étaient déjà investis dans le domaine aux États-Unis. Cette stratégie qui était assez risquée a permis d’attirer des talents et a également donné une grosse avance sur la recherche, et aussi sur la structuration de la recherche. Le Royaume-Uni a su se positionner dès 2010 sur ces technologies et construire une recherche et un écosystème quantiques matures.

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