Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le futur sera-t-il quantique ?

Plus récemment, la Chine s’est affirmée comme un acteur ambitieux dans la course aux technologies quantiques. Une équipe de chercheurs de la University of Science and Technology of China a ainsi annoncé en décembre 2020 avoir atteint la « suprématie quantique » en utilisant un système photonique, puis, en juin 2021, avec un processeur quantique supraconducteur cette fois-ci. Auparavant, une « ligne quantique sécurisée » entre Pékin et Shanghaï avait été mise en place en 2015 puis, en 2016, la Chine a lancé son premier « satellite quantique ». Ces projets, au-delà de leurs apports scientifiques et techniques, constituent un marqueur de l’ambition chinoise dans ce domaine. En effet, ces technologies font l’objet d’une attention très particulière du pouvoir chinois, qui les considère comme des technologies de rupture potentielles et elles apparaissent comme des domaines de recherche prioritaires dans les différentes planifications de recherche et développement chinoise. 

En Europe continentale, il manque cette antériorité de structuration du domaine : les communautés de recherche sont moins habituées à travailler ensemble de façon fluide même si les différents plans d’investissement nationaux changent grandement la donne. Côté financement, l’alignement sur ce qui semble fonctionner à l’étranger permet de combler une partie du retard, mais les forces en présence ont des besoins ou des contraintes spécifiques qu’il convient de traiter de façon ad hoc. Cette volonté d’aller vite se ressent aussi au niveau européen au travers de la rationalisation des efforts de financement — par exemple avec la fusion de projets — qui présente parfois plus d’inconvénients que d’avantages : on cumule les facteurs de risque et on perd un temps précieux dans des synchronisations d’agenda qui relativisent les économies potentielles. Il faut savoir laisser s’épanouir ces projets, qui restent très prospectifs, avant de sélectionner les plus prometteurs, même si cela veut dire attendre quelques années de plus avant de faire les choix les plus structurants. Parmi nos partenaires, la Suisse et l’Autriche sont entrées tôt dans la course au quantique, suivies plus tard de l’Allemagne et des Pays-Bas qui bénéficient en revanche de moyens conséquents.

La France est naturellement très impliquée dans le domaine, en particulier grâce à l’INRIA, qui est spécialisé sur les aspects logiciels et algorithmiques de la recherche et participe à ce titre à la coordination des efforts en la matière au sein de la stratégie nationale quantique. Nous pouvons également nous appuyer sur un écosystème d’entreprises et de start-up très actives. ATOS, très présent sur la partie logicielle et contrôle, commercialise une machine classique qui simule une machine quantique de 30-40 qubits. La société Thales est pour sa part très active sur le développement des applications. Les grands groupes français comme Total, EDF, Airbus ou Naval Group, font quant à eux des expérimentations. Le secteur financier est évidemment très intéressé par la partie applicative, notamment le Crédit Agricole, BNP, ou la Banque de France. Parmi les start-up françaises, beaucoup se sont lancées sur des sujets technologiques pointus avec l’idée de développer et de vendre des sous-systèmes pour ordinateurs quantiques. En l’absence d’un marché de tels sous-systèmes, leur stratégie a rapidement été revue et intègre désormais une approche bout-en-bout jusqu’au client final. Quatre start-up sont particulièrement en pointe : Quandela, spécialisée dans la conception de sources de photons ; Pasqal, qui développe une machine quantique à base d’atomes froids ; Alice&Bob, qui a fabriqué des qubits naturellement protégés du bruit ; et VeriQloud qui met en œuvre des solutions de protection des données et des calculs quantiques. On peut également évoquer la société Muquans, qui fabrique des gravimètres quantiques. Ces start-up sont soutenues par des fonds d’investissements, dont certains se sont spécialisés dans les technologies quantiques, comme Qantonation, ou encore Elaia Partners et la Banque publique d’investissement.

Quels sont les grands enjeux à venir pour la recherche dans le domaine quantique, et tout particulièrement pour QuantumTech@Inria que vous dirigez ?

La recherche dans le domaine de l’informatique quantique à l’INRIA connaît une dynamique forte, avec cinq équipes de recherche, dont trois créées depuis quatre ans et deux depuis 2021, ce qui représente un doublement du nombre de chercheurs permanents, qui est passé à plus de vingt, sans compter les doctorants et postdoctorants. Il y a donc une accélération, avec comme enjeu d’acquérir une masse critique importante, qui augmente encore l’attractivité de l’institut. L’INRIA fait partie des leaders mondiaux dans le contrôle quantique, les codes correcteurs d’erreurs, la compilation, les langages et la théorie de l’information. Deux équipes vont être implantées à Saclay et une autre à Paris pour investir des sujets peu couverts, à savoir les architectures, la sécurisation du calcul et les applications.

0
Votre panier