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La marginalisation du Canada sur la scène internationale

Alors que le pouvoir de convaincre du Canada constituait une force d’attraction à l’époque de la guerre froide, il en va désormais autrement. Si la nomination de Mélanie Joly au poste de ministre des Affaires étrangères se voulait le symbole d’un renouveau de la diplomatie canadienne, le Canada ne semble pas encore en capacité de faire son grand retour sur la scène internationale d’un monde changeant.

Après l’élection fédérale de septembre 2021, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que Mélanie Joly, une députée francophone de Montréal, deviendrait la ministre des Affaires étrangères canadiennes. Cette nomination étonnante a été interprétée comme un moyen pour le Premier ministre d’insuffler un nouveau souffle à la politique étrangère canadienne tout en donnant une image de diversité dans un portefeuille où se succèdent rapidement les ministres. Il s’agit en effet du cinquième ministre depuis l’arrivée de Justin Trudeau en 2015 ; le dernier en date, l’ex-astronaute Marc Garneau, ayant occupé le poste moins d’une année (janvier-octobre 2021). Ce manque de continuité indique le peu de sérieux accordé à la politique étrangère canadienne, ce qui suscite une inquiétude grandissante chez de nombreux spécialistes quant à la place du Canada dans le monde. Cette inquiétude est également partagée par une partie importante de la population canadienne, un sondage indiquant que seulement 43 % des Canadiens croient que le pays joue un rôle important (1).

Afin de comprendre la morosité actuelle, il faut revenir en arrière pour montrer que la marginalisation du Canada découle non seulement des politiques de Justin Trudeau mais aussi des orientations prises par les gouvernements libéraux de Jean Chrétien (1993-2003) et de Paul Martin (2004-2006) ainsi que par celui du conservateur Stephen Harper (2006 et 2015). La marginalisation canadienne trouve ses racines dans l’incapacité de ses élites politiques à comprendre que l’intégration de plus en plus poussée de la politique étrangère canadienne dans le paradigme issu de la fin de la guerre froide, qui a soulevé des critiques et un rejet au cours de la même période, a contribué à aliéner le Canada d’une partie importante de la communauté internationale.

La politique libérale au tournant des années 2000

La fin de la guerre froide fut un électrochoc pour la politique étrangère canadienne dans la mesure où elle a mis un terme à la pertinence de ce qui a été un élément majeur au cœur de celle-ci, à savoir les Casques bleus et, accessoirement, le nationalisme canadien (2). En effet, l’effondrement de l’Union soviétique coïncida avec la diminution des guerres traditionnelles au profit d’une croissance importante des guerres civiles qui étaient moins propices au déploiement de forces de maintien de la paix. Comme l’ont montré les conflits au Rwanda et en ex-Yougoslavie, l’efficacité du maintien de la paix dépend entièrement du fait que les acteurs impliqués ont mis un terme à leur conflit armé et qu’ils consentent à respecter un cessez-le-feu préalable au déploiement de Casques bleus. Si ce n’est pas le cas, cette force d’intervention est alors impuissante à faire cesser les massacres en raison de son mandat limité qui lui impose plutôt une stricte impartialité.

Cependant, la politique étrangère canadienne a su s’adapter au nouveau monde de la Pax Americana qui en a résulté et à son paradigme de la convergence libérale. Cette thèse s’articulait autour de l’idée d’un monde ouvert (politiquement ainsi qu’économiquement) et fondé sur le dialogue au sein duquel l’adhésion des nations à des institutions internationales organisées autour de règles claires et connues de tous régulaient les différends interétatiques. Ultimement, cette approche était pensée comme exerçant un effet civilisationnel et modernisateur sur les États en sapant l’attrait des tendances isolationnistes contraires aux valeurs du libéralisme qui affirment que les individus ont un droit égal de définir par eux-mêmes leur conception respective de ce qu’ils considèrent être une vie bonne. En effet, la volonté de démocratiser les anciennes républiques de l’Union soviétique et la libre entreprise sont des principes qui découlent logiquement de cette tradition philosophique. En conséquence, cet idéal a également donné lieu au développement de ce qui a été défini dans les années 1990 sous le nom de « sécurité humaine », c’est-à-dire la volonté de prévenir les conflits internes, souvent entre groupes ethniques ou religieux, qui limitent indûment l’exercice par les individus de leurs libertés fondamentales. Ce principe épousait les contours du paradigme post guerre froide en faisant la promotion des droits de la personne, de l’État de droit et de la démocratie, de la justice et du développement des sociétés minées par des conflits internes des principes phares.

Le Canada a joué un rôle central dans l’élaboration et l’application de ce principe qui avait pour objectif de mettre les individus à l’abri des privations économiques, des dangers de mort violente en plus de leur garantir le droit d’exercer leurs libertés fondamentales. La valorisation de ce principe s’est traduite de différentes manières dans les années 1990, notamment par le rôle central joué par le gouvernement de Jean Chrétien dans la signature, en 1999, du traité interdisant la fabrication et l’utilisation de mines antipersonnel, mais aussi par la mise en place de la Cour pénale internationale et du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la participation d’enfants dans les conflits armés, ou encore par la participation à la mission de l’OTAN au Kosovo la même année. C’est également sous l’impulsion du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Lloyd Axworthy, que le gouvernement canadien a mis en place en 2000 la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE) qui a conduit à l’adoption de ce principe devant empêcher la communauté internationale d’assister impuissante à des massacres de civils, comme ce fut le cas en 1994 au Rwanda ou en Bosnie-Herzégovine après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Toutefois, cette approche s’est retrouvée graduellement en décalage par rapport à l’évolution politique internationale des années 2000 et sujette à des critiques importantes par les adversaires des libéraux.

À propos de l'auteur

Jean-François Caron

Professeur agrégé de science politique à l’Université Nazarbayev (Kazakhstan), chercheur associé à l’Université d’Opole (Pologne) et senior fellow à l’Institut pour la paix et la diplomatie.

À propos de l'auteur

Frédéric Boily

Professeur titulaire de science politique à l’Université de l’Alberta (Canada) et auteur d’une dizaine d’ouvrages sur la politique canadienne.

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