Bien qu’elles aient été abordées assez tôt dans les documents américains, les implications sécuritaires du changement climatique n’ont été appréhendées qu’assez tard en Europe. Comment expliquer ce décalage ?
Vous avez raison, les premiers travaux américains sur les enjeux de sécurité du changement climatique ont été publiés alors que la guerre froide n’était pas finie. Pourquoi si tôt et surtout avant que cette question ne soit présente dans les cercles de réflexion stratégique européens ? Je pense qu’un ensemble de facteurs explique ce décalage, pour cette question comme pour bien d’autres. Cela tient à la puissance et à la diversité de la réflexion stratégique aux États-Unis, et à l’ancrage de la réflexion prospective, comme l’illustre le rapport « Global Trends » de prospective stratégique à 30 ans du National Intelligence Council, publié tous les quatre ans depuis 1997.
Il n’y a pas vraiment d’équivalent en Europe, si ce n’est le « Global Strategic Trends » du Development, Concepts and Doctrine Centre britannique et, il fut un temps en France, « Horizons stratégiques », un rapport de prospective stratégique dont la dernière édition remonte maintenant à dix ans. Il y a eu également dans certains cercles français, jusqu’au début des années 2000, un climato – scepticisme qui a constitué un frein. Enfin, je pense que les États – Unis ont très vite insisté sur un élément très tangible du changement climatique, celui des risques accrus qu’il fait peser sur les infrastructures militaires, ce qui fut une manière de convaincre l’institution militaire qu’il s’agissait d’un enjeu sérieux, immédiat, concret.
En Europe, le débat a démarré assez laborieusement et ce sont les Britanniques qui ont les premiers appréhendé la dimension sécuritaire du dérèglement climatique, notamment en introduisant ce thème dans les débats du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) en 2007. Le processus fut différent en France, où l’on constate une prise en compte progressive de la contribution des armées à la protection de l’environnement, en particulier depuis le Grenelle de l’Environnement en 2007, mais une prise en compte tardive des questions de sécurité climatique, jusqu’à la COP21 qui donna l’occasion d’organiser une grande conférence internationale sur les enjeux de défense du changement climatique.
Les changements climatiques sont porteurs de risques et de menaces pour la sécurité internationale à plusieurs niveaux. Existe-t‑il une catégorisation de ces risques et de ces menaces qui fasse consensus ?
On peut relever dans les stratégies ou plans d’action des grands acteurs nationaux et internationaux – comme l’UE ou l’OTAN – une distinction entre les conséquences du dérèglement climatique sur la sécurité humaine, qu’il s’agisse de la hausse du niveau des mers qui menace l’existence même d’États insulaires, de la submersion et de la salinisation de zones deltaïques ou de la multiplication et de l’intensification des aléas météorologiques extrêmes et ses conséquences sur les relations interétatiques. On pense alors aux risques d’accroissement des tensions relatives au partage des ressources hydriques des grands fleuves nourriciers, à l’ouverture de nouveaux espaces, comme en Arctique, ou à l’amplification des phénomènes migratoires. Il n’y a pas, à ma connaissance, de catégorisation des risques et des menaces universellement reconnue, mais je ne vois pas non plus de différences notables d’appréciation, si ce n’est naturellement sur le rôle du CSNU en la matière.