À l’heure où s’écrivent ces lignes, le blocus se poursuit et le Haut-Karabagh reste sous la menace d’un drame humanitaire de grande importance. L’Arménie attend a minima un soutien moral de l’UE en général et de la France en particulier (14), pour appeler l’Azerbaïdjan à respecter les engagements pris le 9 novembre 2020, afin de laisser ouvert le corridor de Latchine, au-delà de toutes les autres sources de conflit entre les deux pays.
Le président Emmanuel Macron s’est d’ailleurs exprimé sur ce conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur la chaîne de télévision France 2, le mercredi 12 octobre 2022, et a affirmé que la France « ne lâcherait » pas l’Arménie. Lors de cette intervention, il a mis en cause la Russie, qui aurait « joué le jeu » de l’Azerbaïdjan avec une « complicité turque » : « C’est une manœuvre de déstabilisation de la Russie qui, dans le Caucase, cherche à créer le désordre pour tous nous affaiblir et nous diviser », a-t-il dénoncé.
Clairement, les pays européens (15) doivent demander à l’Azerbaïdjan de respecter les droits des populations arméniennes du Haut-Karabagh et de respecter son patrimoine historique, culturel et religieux dans les régions qui sont de nouveau sous contrôle de l’Azerbaïdjan, ce que ce dernier pays ne fait pas. Les pays de l’UE doivent manifester un soutien humanitaire aux populations en danger, par exemple en relançant les parrainages par des familles européennes de familles arméniennes victimes de guerre et de la pauvreté qui frappe la région, et demander que la protection du patrimoine culturel et architectural arménien soit une priorité pour l’UNESCO.
L’Arménie est de nouveau en grave danger de nature existentielle. Un nouveau génocide humain, culturel et religieux reste une triste possibilité géopolitique pour les mois et les années qui viennent. Malgré un contexte international particulièrement compliqué et tendu, les États européens ne peuvent se désintéresser d’un conflit qui, tôt ou tard, va impacter leurs valeurs démocratiques et culturelles. Le célèbre compositeur arménien Komitas (16), qui reste une figure tutélaire de la culture arménienne, est un survivant du génocide de 1915 et c’est à lui qu’on doit la sauvegarde du patrimoine musical arménien. Lors de sa tournée en Europe en 1906, Claude Debussy s’est adressé à lui pour lui préciser qu’il s’inclinait devant son génie, rappel de la force des liens qui unissent l’Arménie à l’Europe. Le génie de l’Europe serait aujourd’hui de tout faire pour sauver l’Arménie et les populations du Haut-Karabagh.
Notes
(1) L’auteur s’exprime à titre personnel et ne représente le point de vue d’aucune institution.
(2) Voir entre autres l’Atlas historique et culturel de l’Arménie sur ces conflits multiséculaires (éditions Autrement, mars 2001), et Haut-Karabakh, le livre noir, du CF2R, Centre français de recherche sur le renseignement sous la direction d’Éric Denécé et de Tigrane Yegavian (éditions Ellipses, août 2022). Les Grands Dossiers de Diplomatie n°71 de décembre 2022 évoquent également ces conflits caucasiens.
(3) Le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre arménien Nikol Pachinian se sont entretenus de la situation du Haut-Karabagh et du corridor de Latchine le 27 décembre 2022 à Saint-Pétersbourg, en marge du sommet informel de la CEI (Communauté des États indépendants).
(4) Très concrètement et à titre d’exemple, en octobre 2022, l’Azerbaïdjan a menacé la Confédération helvétique de lui couper ses approvisionnements en gaz si elle continuait de soutenir l’Arménie. Voir Pierre-Alexandre Sallier, « La clef du gaz, c’est nous, rappelle Bakou à la Suisse », Tribune de Genève, 7 octobre 2022 (http://rb.gy/gxgwjn).
(5) Direction générale du Trésor, « Le secteur des hydrocarbures en Azerbaïdjan : une lente transition du pétrole vers le gaz et la pétrochimie », mars 2020 (https://rb.gy/lrv2vg) et Agence internationale de l’Énergie (OCDE/AIE), « Azerbaijan Energy Profile », juin 2021 (https://rb.gy/i4tctp).
(6) Le président Sarkissian a été contraint de démissionner en février 2022 à la suite de révélations sur sa double nationalité, interdite par la loi électorale arménienne pour être élu aux fonctions étatiques.
(7) Le yézidisme est une foi monothéiste fondée sur la croyance en un dieu unique, qui a créé le monde et l’a confié aux soins d’une heptade de sept êtres saints, souvent connus sous le nom d’anges ou heft sirr (les sept mystères), le plus important d’entre eux étant Malek Taus, l’ange paon. Ce temple yézidi Quba Mêrê Dîwanê est situé dans le village d’Aknalich, dans la région d’Armavir, à l’ouest d’Erevan. Il est le plus grand temple yézidi du monde. Environ 40 000 Yézidis résident en Arménie.
(8) Voir leur site : https://www.transparency.org/en/countries/azerbaijan.
(9) Depuis l’invasion russe en Ukraine, les exportations de gaz de l’Azerbaïdjan vers l’Europe ont augmenté de 30 %. Elles devraient doubler d’ici 2027. La participation d’une entreprise russe dans le principal gisement gazier azerbaïdjanais pose cependant question, sans même parler de l’origine exacte du gaz exporté par l’Azerbaïdjan.
(10) La Russie a officiellement commencé à exporter du gaz vers l’Azerbaïdjan en novembre 2022 : Emre Gurkan Abay, « Russia’s Gazprom starts gas shipments to Azerbaijan », Agence Anadolu, 18 novembre 2022 (https://rb.gy/d0xozf).
(11) L’Institut national du patrimoine français, sous tutelle du ministère de la Culture, a fait un dossier complet sur le patrimoine arménien lors de son numéro 17 de la revue Patrimoines de 2022, intitulée « Patrimoines en partage : des revendications aux collaborations ». Elle précise : « La revue propose également un dossier sur les patrimoines d’Arménie, un an après le conflit qui a opposé le pays à l’Azerbaïdjan sur le territoire du Sud-Caucase. Carrefour de civilisations, l’Arménie détient un patrimoine archéologique, architectural et religieux multiculturel et très riche mais fragilisé par les conflits et les menaces de destruction ».
(12) Voir leur site (https://www.angloasianmining.com/) car l’entreprise est surtout présente en Azerbaïdjan et serait en réalité dans les mains des deux filles du président Aliyev, Arzu Aliyeva et Leyla Aliyeva. Cette entreprise est apparue dans les Panama Papers. L’ONG OCCRP s’intéresse de près à ces activités en raison de liens étroits avec la corruption et le crime organisé dans la région : Miranda Patrucic, Eleanor Rose et al., « Aliyevs’ Secret Mining Empire », OCCRP, 4 avril 2016 (https://rb.gy/brvph9).
(13) Les Azerbaïdjanais ciblent la mine de Tsaghkashen, dans la région de Martakert, riche en cuivre et molybdène. Elle est la plus prometteuse de l’industrie minière de cette région, dont les réserves sont estimées à plus de 100 millions de tonnes de minerai, le minerai de Tsaghkashen contenant 20 % de concentré de cuivre. Les régions de Martakert et de Karvachar sont particulièrement riches en or et en cuivre. Les mines de Tsaghkashen et de Drmbon, situées à 30 km de distance, restent sous contrôle arménien selon la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020.
(14) Il faut rappeler la présence historique et forte en Arménie de deux ONG françaises qui concourent au fonctionnement et à l’investissement de nombreuses institutions arméniennes (écoles, centres pour handicapés, centres culturels, etc.) : L’Œuvre d’Orient — voir « Urgence – L’Œuvre d’Orient lance un fonds de soutien pour les Arméniens » (https://rb.gy/qyb5kd) —, et Solidarité protestante France-Arménie (SPFA), créée en 1990. J’ai personnellement participé à la dernière mission de SPFA en Arménie en octobre 2022 aux côtés de son président Janik Manissian pour venir en aide à une Arménie qui se sent aujourd’hui isolée.
(15) Les relations entre l’Arménie et l’Union européenne sont fondées sur l’accord de partenariat global et renforcé, qui a été signé le 24 novembre 2017 et est pleinement entré en vigueur le 1er mars 2021. Cet accord, qui a remplacé l’accord de partenariat et de coopération signé en 1999, approfondit les relations bilatérales dans un certain nombre de domaines, mais reste compatible avec l’adhésion de l’Arménie à l’Union économique eurasiatique. Jusque janvier 2022, l’Arménie bénéficiera du régime SPG+ de l’Union européenne, qui permet un accès préférentiel au marché européen.
(16) Yann Lagarde, « Komitas, gardien du répertoire arménien », Radio France, 22 octobre 2020 (http://rb.gy/bmvlmr).
Légende de la photo en première page : Le cimetière des trois collines ou Erablur, est un cimetière militaire situé sur une colline à la périphérie d’Erevan. Depuis 1988, Erablur est devenu le lieu de sépulture des soldats arméniens qui ont perdu la vie au cours du conflit du Haut-Karabagh. Il est situé face au mont Ararat (5137 mètres). Ce volcan est le symbole de l’Arménie, mais il est situé en territoire turc depuis le traité de Lausanne de 1923. Les photographies des combattants arméniens qui figurent sur les pierres tombales de ce cimetière sont régulièrement utilisées par l’Azerbaïdjan sur Internet pour démoraliser l’Arménie et les familles arméniennes et leur rappeler leurs pertes, car de nombreux combattants arméniens morts et tombés aux mains des Azerbaïdjanais ont été décapités. (© C. A. Paillard)