Depuis plus d’un an, le soutien politique, économique et militaire à l’effort de guerre ukrainien, le maintien de l’unité transatlantique, et l’adaptation de l’OTAN au nouveau contexte sécuritaire ont confirmé le rôle central des États-Unis en Europe. Le déploiement permanent de nouvelles troupes américaines en Pologne et l’augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain semblent même indiquer un renforcement de la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis.
Encore marquée par le retrait chaotique d’Afghanistan, les tensions autour d’AUKUS et du projet de pipeline Nordstream 2, ainsi que par le souvenir irritant des années Trump, la relation transatlantique a été profondément transformée par l’invasion russe de l’Ukraine. À partir de l’automne 2021, les services de renseignement américains et l’administration Biden ont alerté leurs partenaires d’un risque d’attaque « imminent », et appelé les alliés européens à se préparer à cette éventualité. Le 24 février 2022, les images du front confirmaient les pires craintes et changeaient l’environnement stratégique sur le continent.
À Washington, les priorités stratégiques n’ont cependant pas changé à la suite du conflit ukrainien, et la classe politique américaine continue de pousser pour que les alliés européens prennent davantage leurs responsabilités face aux crises sur leur continent et dans leur voisinage. Il ne s’agit pas de préparer un retrait d’Europe — ce que ni l’administration Obama ni l’administration Trump n’ont proposé par ailleurs — mais plutôt de recalibrer la relation pour mieux répondre aux défis de la compétition chinoise et aux enjeux transnationaux tels que le réchauffement climatique.
La guerre en Ukraine et ses conséquences pourraient donc accentuer les contradictions structurelles de la relation transatlantique. Malgré la volonté des États-Unis de devenir un soutien plutôt qu’un leader de la sécurité européenne, et malgré les efforts réels de Européens pour développer leurs capacités d’action propres, les derniers mois ont plutôt renforcé l’engagement américain en Europe.
Un leadership politique indispensable
En 2022, les États-Unis ont fourni plus de 75 milliards d’euros d’aides économiques, militaires et humanitaires à l’Ukraine. Pour la première fois depuis l’administration Truman et le plan Marshall, un pays européen est devenu le premier bénéficiaire des aides américaines dans le monde (1). L’administration Biden et le Congrès, malgré une nouvelle majorité républicaine à la Chambre des Représentants, ont réaffirmé leur soutien à la défense ukrainienne en début d’année 2023. Il est vrai qu’une comparaison simpliste des montants de l’aide apportée par les différents pays européens et nord-américains ne reflète pas le véritable impact de ces contributions sur le champs de bataille. Mais les chiffres permettent néanmoins d’identifier clairement les États-Unis comme le premier garant de la capacité de l’Ukraine à se défendre depuis le début de l’invasion.
Cette aide importante fait par ailleurs suite à un long travail d’entraînement de l’armée ukrainienne débuté après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, conduisant le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki à déclarer en février 2023 que « sans les États-Unis, il n’y aurait probablement plus d’Ukraine libre » (2).
En parallèle à cette aide bilatérale, c’est aussi à travers son leadership politique sur la scène internationale que l’administration Biden s’est présentée comme le champion de la cause ukrainienne. L’activisme de Washington pour la mise en place rapide de sanctions contre le régime de Vladimir Poutine de manière coordonnée avec l’Union européenne et les membres du G7 a eu un impact important sur les décisions prises durant les premiers mois de la guerre. Sur le plan des normes internationales, la dénonciation des crimes de guerre de la Russie par la vice-présidence Kamala Harris lors de la Conférence de Munich en février 2023 a également constitué une étape importante dans la discussion avec les partenaires européens sur le sujet.