Magazine Diplomatie

Évolutions de l’Afrique de 2000 à 2050 : tendances et incertitudes géopolitiques

Le regard porté sur les vingt dernières années laisse entrevoir des évolutions contrastées tant sur le plan politique — avec la résurgence des coups d’État — que sur les plans économique et géopolitique avec les conséquences de la pandémie de Covid-19 et celles de la guerre russo-ukrainienne sur les grands équilibres macroéconomiques et sociodémographiques du continent africain.

Après avoir passé une décennie 1990-2000 décevante avec, à la clé, une gestion chaotique et des facteurs, à la fois internes et externes, qui ont contribué aux mauvais résultats économiques aggravés par des pratiques politiques peu démocratiques, le développement spectaculaire de la corruption et la prolifération des guerres et de troubles multiformes, la décennie 2000 qui a marqué le début du millénaire a suscité de nombreux espoirs en Afrique. La transformation de l’Organisation de l’unité africaine en une Union africaine, la multiplication des initiatives régionales pour plus d’intégration des économies et des peuples, l’accélération de la démocratisation des systèmes politiques et la poursuite du développement des Organisations de la société civile caractérisaient par la même occasion les grandes évolutions et les défis majeurs que l’on devait surveiller au cours des décennies à venir.

Ainsi, au travers d’une lecture rétrospective, nous tenterons de déterminer les tendances structurantes des grandes évolutions de l’Afrique à l’horizon 2050, tout en mettant en perspective les incertitudes géopolitiques que pourraient engendrer les défis et les évolutions actuelles.

Un lent processus de démocratisation en Afrique subsaharienne

En adoptant de nouvelles constitutions au cours de la décennie 1990-2000, les pays d’Afrique subsaharienne sont rentrés dans une nouvelle vague de transition démocratique. Cette mutation a été caractérisée par la mise en place des systèmes politiques pluralistes, la reconnaissance de l’opposition politique, des droits fondamentaux et des libertés publiques. Mais, malgré tous ces changements institutionnels, la démocratie en Afrique subsaharienne reste perçue, dans de nombreux pays, comme une démocratie de façade, un « luxe ». Le processus démocratique a souvent été construit pour répondre aux attentes et conditionnalités internationales des principaux bailleurs de fonds occidentaux. Les indices de performance s’observent à travers la tenue des élections libres et transparentes, le développement du multipartisme et la promotion de la bonne gouvernance. En l’absence d’un ancrage institutionnel et de mécanismes de régulation indépendants, cette apparente ouverture n’est pas parvenue à opérer une rupture politique avec les dérives autoritaires des systèmes fondés sur des États-partis.

Si des progrès significatifs ont été réalisés dans certains pays (1), dans d’autres, de nombreux obstacles et habitus résistent tout autant au changement de façon spectaculaire. Ces progrès sont freinés par la tenue d’élections certes régulières mais mal préparées, truquées et faites de contestations débouchant très souvent sur des violences postélectorales sanglantes. Le multipartisme et la tenue régulière des élections n’ont pas été suivis, dans nombre de pays, de successions et d’alternances politiques démocratiques et pacifiques. La résurgence des coups d’État dans certains pays (Mali, Burkina Faso) alimente le constat d’un recul démocratique après une décennie 2000-2010 encourageante. Cette réalité tient à l’historicité de certains systèmes nationaux, marqués par des logiques de forte personnalisation du pouvoir et des institutions, faisant parfois de l’alternance et de la succession par les armes et la violence les seuls moyens alternatifs crédibles d’accès au pouvoir.

Les processus de démocratisation s’enracinent cependant progressivement sur le continent par la création et le renforcement des institutions représentatives, l’organisation des élections multipartites et surtout la montée en puissance des mouvements de contestation populaire revendiquant plus de liberté et de démocratie dans les rues et sur les réseaux sociaux. On constate ainsi une montée de la contestation et des mouvements de protestation civique, politique et syndicale, souvent relayés par les églises et les organisations de la société civile. Le mouvement sénégalais « Y en a marre » de juin 2011 contre Abdoulaye Wade et le mouvement « Touche pas à ma constitution » de juin 2013, au Bénin, en sont des illustrations (2).

La médiatisation de ces mobilisations pourrait considérablement modifier non seulement les comportements, mais aussi la nature et la forme des institutions au cours des prochaines décennies. Ces nouvelles formes de mobilisation, consécutives à la fin de la guerre froide, et amplifiées par la libéralisation de l’information et l’explosion des réseaux sociaux, permettent d’accroître l’influence des groupes de pression, la promotion des droits de l’homme et la conscientisation des populations sur leurs droits économiques, sociaux et culturels. Cette tendance, qui s’inscrit dans une dynamique irréversible, pourrait remarquablement se consolider dans les années à venir.

La consolidation des démocraties africaines pourrait être un facteur de paix et de stabilité durable. Elle pourra consacrer la solidité des institutions et favoriser une redistribution plus équilibrée des richesses nationales en accélérant les processus de décentralisation adaptés aux inégalités territoriales.

La persistance des comportements antidémocratiques et l’absence d’alternance politique pourraient ruiner tout espoir d’émancipation des populations africaines. Elles pourraient, par ailleurs, confirmer la reproduction de la formation de la classe dominante actuelle et renforcer ainsi les inerties politiques porteuses de clivages et de divisions.

Une croissance démographique forte : entre opportunités économiques et risques d’instabilité géopolitique

Au cours des deux dernières décennies, d’après les statistiques, l’Afrique a créé plus de 37 millions d’emplois rémunérés, alors que la population a été multipliée par près de cinq entre 1960 et 2020, dépassant le milliard en 2017 (3). Le taux de croissance annuel est de 2,7 %, alors qu’à l’échelle du monde il s’établit à 1 %. La croissance annuelle du chômage de 2017 à 2019 est de 30 millions de personnes en moyenne par an (4). Les réformes entreprises par les pays africains et l’entrée de nouveaux capitaux, de financements « innovants » et d’importantes remises de dette, ne sont pas parvenues à inverser la courbe du chômage et de la précarité engendrée par la pression démographique en Afrique subsaharienne, ce qui a contribué à fragiliser la relative stabilité observée dans plusieurs pays.

À propos de l'auteur

Samuel Nguembock

Enseignant permanent à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC), enseignant et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur général de Thinking Africa Cameroun.

0
Votre panier